Christophe Esnault, Aorte Adorée par Tristan Hordé

Les Parutions

18 avril
2022

Christophe Esnault, Aorte Adorée par Tristan Hordé

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Christophe Esnault, Aorte Adorée

Le thème de la mort, depuis Villon, traverse l’histoire de la poésie, il a fortement évolué depuis les poètes chrétiens de la fin du XVIe siècle qui exhortaient les lecteurs à ne pas craindre de mourir puisqu’ils connaîtraient la vie éternelle. Rien ne devrait effrayer le chrétien, que l’on relise les sonnets de Jean-Baptiste Chassignet, ceux de Sponde qui écrit : « Pour vivre au Ciel il faut plustost mourir ici »*.

 

Cinq siècles plus tard il n’est pas sûr que la promesse d’une vie dans l’au-delà, ou sa croyance (toujours vive) soit un motif de consolation et, par ailleurs, une manière distante de considérer la fin a pris une place importante, au moins dans la littérature, notamment avec le thème du suicide. On pense à la longue liste des manières de mourir et de se faire disparaître dressée par Jude Stéfan pour clore le recueil Laures (Gallimard, 1984, p. 119-120) : « ayant vu le jour / il mourut, sa mort survint, le surprit, il / fut enterré, il décéda, succomba, il disparut, / se suicida, se noya, se pendit (...) » ("les corps"). On pense à d’autres longues listes, celles récentes des Phrases de la mort de Jean-Pascal Dubost.

Christophe Esnault se limite à 32 propositions pour recenser les manières de se suicider — la dernière donne son titre au livre —, modestie qui devrait susciter l’inventivité du lecteur pour donner une suite, d’autant plus aisément que certaines propositions n’aboutissent pas au but recherché ; ainsi le choix du mixeur pour abréger sa vie ne peut que décevoir : devant le sang qui jaillit, le prétendant au suicide risque dans son affolement d’appeler le SAMU. On sait aussi que l’ingestion de mort aux rats provoque de grandes souffrances, cette technique est donc à éviter puisque « Rechercher la douleur est une autre fête ». Restons-en donc aux moyens efficaces de se suicider.

Dans son petit catalogue, Christophe Esnault emploie quelques règles simples d’association de mots ; à « défenestration » répond « jolis sauts », jolis s’entendant à la fois comme intensif et antonyme de laid, d’où la valeur esthétique de cette manière de se supprimer dont « On minimise souvent la poétique incluse ». « Destop » (nom d’un déboucheur ménager) est en relation avec « avenir bouché ». Un suicide peut avoir des conséquences que l’on peut juger fâcheuses : un accident de voiture provoqué, gage le plus souvent de réussite, entraîne parfois d’autres morts, celle de « Gosses rieurs et désinvoltes à l’arrière / Tellement impatients de voir l’océan ». Avaler le contenu d’une pharmacie familiale ne suffit pas toujours à réaliser son rêve, «  la salle de réanimation est destinée aux chanceux ». Les amoureux de littérature adopteront la méthode écologique de Virginia Woolf et entreront dans la rivière « Des galets pleins [les] poches », ou celle de Vaché et quelques autres, à condition de ne pas économiser la drogue. Certaines voies de traverse seront suivies pour qui ne serait pas complètement prêt au suicide.

On peut par exemple différer en entreprenant une psychanalyse : le mauvais état empirera, la ruine matérielle suivra et la cure se terminera par un suicide. Un autre moyen, qu’on peut estimer trop complexe pour réussir, consiste à se construire un ennemi qui, un jour ou l’autre, vous assassinera. Il existe aussi des suicides métaphoriques comme « les mauvais mariages » et il ne faut pas oublier le suicide raté et sans cesse recommencé, « la récidive est pour certains une vocation ».

 

Il reste à découvrir d’autres recettes avant d’en écrire d’autres. Toutes celles de Christophe Esnault ne se terminent pas tragiquement, ainsi le dernier vers du livre, dans "Aorte Adorée", exprime un renoncement au suicide pour des raisons esthétiques : « Je ne la tranche pas, elle est trop belle ».

 

* Jean de Sponde, Œuvres littéraires, Droz, 1978, p. 263.

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