Dans la cuisine de l’ogre de Martine Courtois par Christophe Stolowicki

Les Parutions

26 févr.
2020

Dans la cuisine de l’ogre de Martine Courtois par Christophe Stolowicki

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Dans la cuisine de l’ogre de Martine Courtois

Dans le conte de Perrault (1697), Poucet averti que dans la maison en lisière de la forêt où ses parents les ont abandonnés loge un ogre, préfère, dit-il, être mangé avec ses frères par « Monsieur » plutôt que par les loups. Lors d’une révolte scolaire et estudiantine, il y a plusieurs siècles de cela, contre l’indifférence de fonctionnaire des enseignants, une boutade court les préaux : les pédophiles, eux au moins aiment les enfants.

Le thème a une résonance universelle. Les aventures de Tom Pouce (Tom Thumb, Daumesdick) et de son cannibale, ogre, ogresse, sorcière, diable, géant, sont déclinées sur toute la planète, de Norvège au Mali, d’Argentine au Japon ; couvrant presque toute notre Histoire, de l’homérique Polyphème au tout début du siècle dernier, s’y essoufflant curieusement. Les ogres, les géants, d’une crédulité anormale, sont toujours dupés, ont toujours le dessous, dévorent leurs propres petits substitués, finissent brûlés sur un tas de fagots qu’ils ont échafaudé eux-mêmes, et dépouillés de leurs trésors.

L’enfant, trop maigre, mis à empâter dans un tonneau ou dans une jarre de figues, présente à l’examen quotidien un leurre étique, une queue de rat plutôt que son petit doigt, mais c’est d’après le pouce qu’on le nomme : de polleo, être puissant. Pouce, le doigt qu’on suce. Les explications psychanalytiques par la mauvaise mère (Roger Dadoun) à qui le dévorateur masculin sert d’écran, ont au moins le mérite de frayer des pistes à la désuétude contemporaine de l’espèce, disparue à force d’être traquée, tronquée, trompée. On voit mal s’en emparer la poésie jeunesse.

D’une érudition et d’une méticulosité exemplaires, Martine Courtois, fidèle à son sujet, évoque en passant seulement la légende de Barbe Bleue qui, édulcorant son modèle, n’égorge que des femmes adultes – s’étend davantage sur les « cannibales du Nouveau Monde […] cordiaux, voire amicaux ; des prisonniers libres d’aller et de venir, de participer aux activités de la tribu […] puis un cérémonial complexe d’abattage et de préparation culinaire ». Alors qu’à sa lecture ne me lâche pas le souvenir d’adolescence de Francis Blanche en vilain garçonnet sur une scène parisienne, victime indigeste pour l’ogre de Rais qui n’en veut pas. Je n’ai jamais tant ri.

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