HUI de Yann Miralles par Alexis Audren

Les Parutions

21 mai
2020

HUI de Yann Miralles par Alexis Audren

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HUI de Yann Miralles

La première partie du recueil de Yann Miralles s’ouvre sur un mot « éblouissement » qui serait, nous annonce le premier vers, « un bon mot pour commencer ». Ce terme programmatique nous annonce que la vue sera frappée par un éclat très vif, si vif que les yeux ne pourront même le soutenir. Quel est cet éclat ? Il faudra peut-être un autre sens pour venir en aide au lecteur, aveuglé dès l’entrée du poème. Mais sa traversée promet aussi l’émerveillement ; l’émerveillement, dès le deuxième vers, par la conjonction « de la lumière et du son », du regard et de l’ouïe, cette synesthésie que permet la « danse ». Quelle danse ? Celle dont se souvient le poète dans ses « anciennes années », peut être celle de la French Touch suite au visionnage du film Eden de Mia Hansen Love, où l’on suit l’ascension d’un jeune DJ dans le monde de la house music. Mais le titre de cette première partie du recueil, « Eden et après » pour le poète cinéphile est aussi une référence à un autre film, L’Eden et après de Alain Robbe-Grillet, film dans lequel des étudiants désœuvrés se réunissent dans un café, l’Eden, qui ressemble à un labyrinthe, et, flirtant avec la folie, s'inventent un monde parallèle, font semblant d’être des autres, s’oublient, cherchant à dépasser la grisaille de leur vie. Et l’héroïne connaît le vertige de la répétition, où son histoire se répète, entre fantasme, simulation, et réalité, mais toujours sous une autre forme. Au «commencer» succède tout de suite le « continuer » à la première page : les danseurs continuent le temps aujourd’hui comme les danseurs du passé l’avaient déjà continué. Les trois dimensions du temps dont parle Saint Augustin se rejoignent au présent par le rythme de la musique et de la voix, pour « célébrer » l’instant, un Hui faisant remonter cet archaïsme du fond du temps, évacuant le pléonasme du au-jour-d’hui au profit de cette évidence comme un son aigu, un bruit strident, à une lettre de l’onomatopée du cri d’oiseau ( c(h)ui-(c(h)ui!). Commencer, continuer, célébrer, et « encore une fois » : comme un rythme répétitif de musique techno, un film monté nous perdant dans ses constructions fantasmatiques, le poème est ce recommencement perpétuel dans le dansé d’un phrasé à la rare singularité. A rebours du « Une fois chaque chose, une fois seulement. Une fois et pas plus. Et nous aussi, une fois. Jamais plus » de Rilke, cet irrévocable dont le poète parle et qui semble donner du relief à toute existence comme sceller sa perte, lire, écrire, vivre, sont pour Yann Miralles toujours rejouer au présent du poème, son activité, les énergies qui nous animent, indéfiniment, interminablement, expérimentant le «  nous », une comm-union rythmique, cette force dans et par le langage, bien loin du fantasme de toute « communauté » hors langage, discutant théoriquement le désir essentialiste de quelques happy-few.

Le rêve d’un « poème pulsation », qui, comme la musique, est cette « nappe hypnotique », ce « tapement / & nous pliés en elle / sommes pris / dans son pli /introspectif » peut ainsi se concrétiser dans la différence provoquée par toute répétition rythmique, et activer la puissance de la revenance du passé dans le présent, ce « ressouvenir en avant » cher à Kierkeggard. Là où chez Antoine Emaz, le mur boucle / bloque un peu plus de tête / et de réel, Yann Miralles pense la « boucle » du souvenir, à double tranchant, entre « sa pierre coupante, lancinante » et sa « douceur aiguë » de revenance, comme une façon de démolir le mur de l’oubli et de la mort, et, comme un chercheur d’or dans une carrière de pierre, à la force de la pioche du poème, redécouvrir de tous les creusements ce « joyau » qu’est l’instant, ce nouveau mur intime, doux comme du « miel », rejointoyant les gravats du passé. Pour cela, le poème fait ce qu’il dit, dans une transitivité absolue marquant la puissance d’incarnation du poème : « la nuit /complément d’objet direct / marcher / Pas dans / pas durant / pas selon / mais comme on dit manger / directement marcher / la nuit » ; et avec Yann Miralles, nous marchons effectivement la nuit, nous la marchons jusqu’à la mâcher ; le rythme de nos pas nous faisant entrer dans sa matière lourde, immuable, illimitée, nous faisant l’éprouver au plus profond du dedans, la pénétrer, quand le rythme du poème nous fait ressortir ses vitesses, son activité d’enveloppement et de recouvrement, et vice et vers-à, nuit et corps en relation comme deux bouches dans un ébat amoureux, repoussant toujours plus l’orgasme dans sa littéralité d’ergon et creusant l’energeia de leurs souffles jusqu’à s’égaliser dans le « « h(o)ui ».

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