La fabrique de levure de Jakub Kornhauser par Christophe Stolowicki

Les Parutions

14 mai
2018

La fabrique de levure de Jakub Kornhauser par Christophe Stolowicki

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Dans le désaccordé, dans le fourmillement doux-amer, un livre d’une construction impeccable, implacable.

 

Dans l’ancien ghetto de Cracovie, quasi inhabité il y a dix ans encore, souillée une façade d’immeuble d’une inscription antisémite, d’un antisémitisme sans juifs ou presque, ou camouflés – promis à la transformation en quartier touristique où « un barbu tient une réclame pour une pizzeria kasher » – une famille emménage dans la villa où vivait naguère un rabbin, l’enfant né en 1984 est prénommé Jakub. Dans les ruines au bord de la Vistule, tapie dans les bois une synagogue désaffectée, remontent les odeurs d’une fabrique de levure, interdite pour la cuisson rituelle des matzot, le pain perdu hébraïque. On apprend incidemment que « le fils du maire a trouvé des os humains en cueillant des champignons ». Tout en poèmes de prose d’une symphonie picturale portant sur l’Errant le regard bon enfant d’Apollinaire décapé de ses facéties et intériorisé à plusieurs tours, alternent les bribes, tessons d’une chronique juive villageoise dépareillée, avec son rabbin, son melamed (instituteur), son schoïchet (abatteur rituel), son heder (école talmudique), son dayan (juge), en entrée, en rappel, au final – et la thérapie scopique d’une ascendance de persécuté par l’imprégnation de quelques grands peintres, du plus figuratif halluciné (Ensor), au plus abstrait d’abstrait (Malevitch), du plus convulsif sériel (Soutine) au plus dépouillé sériel (Schiele), au plus brasseur d’un demi-siècle de peinture en ses avatars (Klee).

 

Quand « l’air étrangle à la façon d’un cordon ombilical », rabattre, rebattre en prose le polonais, langue de chevalier servant, volubilis en ses volutes d’un volume de console déroulant ses voltes et volte-face plus loquace qu’aucun book – en images « decrescendo », en leur défoulage dernier stade d’un programme de sèche-linge, est une performance dans le droit fil de Gombrowicz, de Flaubert. Les tableaux évoqués, jamais décrits, suscitent des associations qui se déboîtent, se déplacent à la façon d’un arthropode, des souvenirs d’enfance à plat de rehauts, celle en Schiele saisie « au carrefour à peine visible des derniers carrés de chocolat et des kilomètres d’asphalte ». Pudique, un lyrisme en filigrane s’append aux dernières phrases de poèmes.

 

 

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