La Verte traVersée, d’Olivier Domerg (2) par Christophe Stolowicki

Les Parutions

07 nov.
2022

La Verte traVersée, d’Olivier Domerg (2) par Christophe Stolowicki

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La Verte traVersée, d’Olivier Domerg (2)

 

 

Les photographies d’abord, immédiatement porteuses d’émotion, groupées en un dernier chapitre comme une œuvre en soi de Brigitte Palaggi, plutôt qu’illustratives. Mais lustrant l’écrit, presque à contre-courant du texte pour la première fois d’une longue collaboration. Ce n’est pas elle qui a changé mais Domerg qui à présent se rétracte, se révulse , rue devant ce qu’il a frayé à sa main et qu’on attend de lui comme un  brancard poétiquement correct.

En demi-pages détourées ou pleines pages mises en regard, leur mise en page sérielle, carrée, n’est pas sans rappeler celle des poèmes, leurs justifications alternées à deux dizains par page. Mais à la mise en désordre du texte répond le pur ordonnancement des photographies.

Pentes herbues où sinuent des vestiges d’écoulement, vues de paysages dans leur ciel, tant coulée que cadrage (d’un arbre seul qui fait roue de paon au bord d’un ruisselet), plans premier et lointain que sépare une vitre d’un objet oblong géographique onduleux (carte repliée) et névés au loin (repris en couverture), deux extraits de vie villageoise plus parlante de l’homme en l’absence d’humains – ces photographies évoquent paradoxalement les paysages sans perspective de Balthus, nature rendue plus vivante à la faveur de ses natures  mortes où un couteau tel un regard à bris de carafe est planté dans l’aplat, le rehaut.

Mais lâchons l’éden de ce « “ jardin en altitude” » des plateaux du Cantal au printemps pour les poèmes formellement dizains et aussi anti-poèmes que possible de Domerg.

« Haut plateau herbu, sitôt quittées les / Zones qui le gangrènent – cancer des / Z. I. et des ZAC dépeçant le “PARC” » : dès la première strophe la laideur industrielle dont jaillit tant de beauté et « la rature / sonore des camions et des voitures » rendues par des vers dépecés eux aussi plutôt que des rejets ou enjambements, par des sigles et acronymes de même friche urbaine, des jeux de rimes niaises (« des » et « les », « par » et « “PARC” »), ou heurtées à l’encontre du coulant paysage,  des rimes chantournées ou faibles, railleuses, « fond » avec « fonds », d’« ées » en « ées » à grand train de dizains  – sur lesquelles tranche le savoir-faire paronomastique (« vaches paissent » avec « pierre sèche »).       

« Purée, vite écrivons des vers ignobles ».  

Domerg à maturité se dépouillant vers avers. De vers à prosaïsme, marcheur ou automobiliste, las qu’une spécialisation paysagère lui colle aux basques, il fait sur le vert glas un grand tour sur lui-même. Pour qui sonne l’éclat. Le vieil homme et le vers. Domerg à bout de chorus couture ses poèmes comme  Hemingway son corps / à corps avec l’océan. Malgré les efforts insensés d’une vie de poète, du cache à l’ô les requins n’ont pas laissé une miette (L’homme mûr et l’amer), l’écrivain se rebiffe à coups de griffes d’appeau être.

« La poésie, c’est sûr, a fait son temps », ce ne sont pas nos squelettiques auditoires et lecteurs clairsemés qui le démentiront.

Mais si la vie contemporaine a eu raison du vers, à revers un jazz tient en haleine le poème comme Brigitte Palaggi le paysage paysagé. « Le moindre bruit sonne comme un fragment / Concerté d’une musique, partout ». Arrimés « parking » et « travelling », « cirque » de « tout son cirque » et celui de moyennes montagnes (« couvrant les versants du cirque »), un cric les soulève à bouffées d’air. Exaltant mieux « “le sentiment géographique ” » que Gracq, pourtant agrégé en la matière.

La verve qui bat la charge d’un beat à vers irréprochablement boiteux, forcés, surfaits, l’ombre d’eux-mêmes, étendant l’ombre sur l’autre flanc de la vallée de l’avalé poème – à coups de points d’ex clamation, italiques et guillemets de citation site action, se surmultipliant comme le bassiste et le batteur d’une section rythmique (« la succession des crêtes ; / Et, par là-même, le récitatif : Thème musical trottant dans la tête » ; « Le volume de la ferme est un seuil ; / Pour favoriser notre observation, / Et, des données, poursuivre le recueil ! » ; « Ici, une possible analogie / Avec les formes quiètes, alanguies ///Que vous vites, dans leur étalement / Sans l’ombre rebelle d’une anicroche ! / “Musique symphonique des prairies / À ruisseaux et saules” »), majuscules interpolées intempestives à l’américaine d’internet (dont celle du titre) – est liberté d’esprit.    

Dérision à coups d’auto-. Le jazz d’Enrico Pieranunzi, mieux qu’Uri Cane se greffant sur le classique.

Domerg a été spécialisé dans le paysage, qui ne mange pas de  pain. Mais les siens en dévorent, et même de la brioche.   

 

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