larevue des arts du langage et de quelques autres (2021) par Tristan Hordé

Les Parutions

07 janv.
2022

larevue des arts du langage et de quelques autres (2021) par Tristan Hordé

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larevue des arts du langage et de quelques autres (2021)

Pour le lecteur, une revue annuelle de grand format (31x27) offre l’avantage d’un sommaire copieux, 16 contributions dont 3 de dessinateurs ; pour larevue, qui existe depuis 2013, comme toutes les revues à parution annuelle ou semestrielle, elle est trop peu visible et il est préférable de s’y abonner pour la suivre. La variété et l’abondance des contributions ne permettent pas une recension complète, mais le choix des contributions retenues n’est pas une exclusion des autres. Cependant, les abondants poèmes de Damien Gonnessat (16 pages) en rebuteront plus d’un par le nombre de néologismes souvent obscurs (éloing, mentaire, relessive, genouilleux, ossuétude, etc.), de termes rares (amathie, houeur, etc.) et par le nombre de vers dont la charge poétique n’est guère évidente, comme « nommément manque induit mystique suite neccation ». On se souvient des j’aime / je n’aime pas de Barthes et de Perec, le couple (ou l’un des deux verbes) est devenu le point de départ d’exercices d’écriture dans les collèges ; ici, le procédé repris par Mathieu Jung (« J’aime la casquette Nike que porte Jude Stéfan ») — qui ne cesse surtout de parler de lui — risque hélas ! de ne pas inciter les lecteurs à aller lire Jude Stéfan.

Manière de ne pas quitter la vie qui va, on peut commencer par lire le dernier texte du sommaire, des notes de Bruno Grégoire, "Bref abécédaire confiné" ; toutes commencent par un titre (incluant une lettre de l’alphabet, manquent F et I) de film (Soupçons, 1941), une pièce de théâtre (Knock, 1924), un poème (Corona, 1948), etc., œuvre mise en relation avec le présent. Est soulignée par exemple — c’était en 2020 — « l’abjection » de ceux qui rejetaient violemment les infirmières, coupables d’être éventuellement contaminées. Ailleurs, Bruno Grégoire relève les incohérences des discours, la transformation des désignations de métiers (« professeur des écoles » a remplacé « instituteur »), etc. C’est la vie quotidienne qui est commentée, le racisme ordinaire, la bêtise de ceux qui veulent l’entrée de Rimbaud et Verlaine au Panthéon, les bénéfices honteux du CAC40, etc. Si l’on n’a pas la chance, en ville, de pouvoir sortir dans un petit jardin, Bruno Grégoire rappelle que « Le meilleur remède au confinement c’est encore l’imaginaire ».

C’est un autre parcours dans l’imaginaire que propose Christian Doumet avec "Notes sur le bleu du ciel par temps de confinement". Quelle que soit, nécessaire, la mise en ordre des choses du monde, demeure le désordre du ciel avec les nuages. La première impression que nous en avons, c’est « une interrogation sans réponse » et « d’emblée, une conversation lyrique » ; c’est la vision qu’en ont eue Senancour, Caspar David Friedrich (« le tapis de nuages déchiré par des pics »). Depuis plus d’un an dans les villes, avec le confinement, on a pu revoir plus souvent le bleu du ciel, il n’empêche qu’il n’est plus vécu comme par les Romantiques qui « s’étaient efforcés de mesurer leur petitesse à l’illimité, de circonscrire leur place dans le monde » ; aujourd’hui, « la conscience de la caducité du monde » a changé le regard et le ciel est vu en pensant à "l’effet de serre" et à "la couche d’ozone", et cette « vulgate scientiste » « n’enchante rien et n’apaise aucune angoisse — au contraire ».

Peut-on encore voir le ciel sans l’idée d’une catastrophe plus ou moins proche ? Certains peintres, certains poètes ont eu « le privilège d’avoir un instant (...) retardé l’engloutissement et fixé le vertige ». C’est cela que traduit « le mot d’Hypérion (...) « me voilà isolé dans la beauté du monde » », ce que rappelle Christian Doumet. Ses réflexions autour des moments divers du ciel associent, pour chacun de nous, une « première carte du ciel au fond de notre archive intime » à un paysage premier ; ciel premier sans représentation possible » et « comme tant de figures originelles, la postulation d’un état que nous n’avons jamais connu ».

On retrouve les nuages dans les poèmes de Gérard Cartier ("Le voyage intérieur, documentaires"), également « sans lignes sans poids plus vagues que l’eau / proprement rien sans mots pour les dire (...)/ montant des collines oubliées de l’enfance ». Ils sont présents dans un de ces petits tableaux lyriques qui mènent de la Moselle (étangs de Lindre) à la Savoie. Rien d’anecdotique dans un parcours de mémoire qui évoque aussi bien les soldats de la Première Guerre mondiale — « On les imagine / non démêlés dans la boue des tranchées » — que la mère disparue et ce qu’il entend « monter du fond des années / une voix douce amère ». Attentif à ce qui l’entoure, au fermier ruiné qui se pend, il sait bien, se souvenant au Bourget-du-Lac des "rapides délices" de Lamartine qu’on ne peut « nier le temps qui tout emporte ».

Les poèmes d’Édith Msika ne quittent pas le présent, considérant avec humour diverses idées reçues ou les satisfactions de ceux qui ne risquent jamais rien, la bonne conscience qui consiste à « parler du capitalisme sur une chaise longue », par exemple. Pour mettre en évidence l’union d’un couple, elle la traduit avec une anomalie morphologique, « mon mari et moi » pris comme personne grammaticale au singulier. Dans un autre poème, on apprécie la reprise d’une racine pour dire le temps qui a passé, « le bruit des balayeuses, le bruit des années balayées ». Elle construit en partie un long poème, annoncé comme tel par son titre, "une fois commencé, ça ne finit pas", en employant en partie des phrases toutes faites (« Il est urgent d’attendre que quelque chose vienne », « Dos au mur ») pour exprimer la difficulté de vivre.

On lira encore les proses de Mathieu Nuss et en reconstruire le mouvement voulu par la référence au troisième des Rückert-Lieder de Gustav Mahler, dont il garde le titre, Ich bin der Welt abhanden gekommen. On suivra les évocations d’Alexandre Mare ("Notre cosmos") à partir de tableaux ou d’une sculpture, celle de la reine Napirasu au Louvre : on peut rêver d’ôter la fibule qui retient sa tunique et « faire revenir ainsi / les gestes les langues les cendres ». Restent d’autres textes, poèmes (M. Palmer, P. Bast) et proses (J. Sarkadi, D. Mus, R. O. Paxton) à explorer sans attendre la livraison de 2022.

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