Le nom d’un fou s’écrit partout, de Sandrine Bourguignon par Christophe Stolowicki

Les Parutions

03 nov.
2021

Le nom d’un fou s’écrit partout, de Sandrine Bourguignon par Christophe Stolowicki

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Le nom d’un fou s’écrit partout, de Sandrine Bourguignon

Fernand Deligny, 1913 – 1996. Titres de gloire Graine de crapule, écrit en 1943, publié en 1945 ; Les Vagabonds efficaces, 1947 ; Adrien Lomme, un roman, 1958 ; des essais-poèmes à foison ; des films-saynètes ; des masses d’inédits. Grâce à lui des autistes se sont sortis,  sauvés – de soi, le rugueux, le soyeux, l’essuie-tout, le Soi des soi qui toujours déçoit – des mères lui restent éperdument reconnaissantes. Seul un humin, « un félin, un caprin », un animal homme, pouvait faire cela.

 

Sandrine Bourguignon, dont Le nom d’un fou s’écrit partout est le troisième livre, s’immerge en apnée dans saviesonœuvre (indissociables) d’éducateur antipsychiatre, d’éthologue du fin fond de l’humain, de poète – avec une passion, une prise au corps qui ne permet souvent pas de discerner ce qui est de son cru, ou de crudité tranchant à flanc, celle de son héros-limite. En une adresse à sa personne, sur un tempo tenu alternant paragraphes implacables et rejets en double rebond de balle déprise au bond, (« diplôme en poche, on vous octroie un poste de titulaire dans la petite classe des enfants fous au milieu du cri des mouettes. / Ainsi vous reprenez le cours de votre vie. / La seule qui sauve. Qui peut », ou « Un non-lieu. / Je crois qu’il n’y a que ça. / Dans votre vie. La mienne »), esquivant le poème vertical – « à bout d’âme, comme on dit ». Cela en respectant scrupuleusement le passage à la ligne avec blancs d’entrée, comme pour marquer que Deligny est son héros de roman.

 

L’asile trouvé sous des tentes ou dans une maison perdue à un contrefort des Cévennes, voire dans un château retapé par des volontaires, avec sa ménagerie de fauves bénins, copeaux d’homme, est ce que chacun retient de lui. Ses outrances béantes. Nous cligne sa dérive jusqu’en d’inintelligibles mots-tics de mythique mutique (chevêtres […] des lignes d’erre et des points de voir). Le recours aux étymologies vraies ou fausses, donnant du capricant à l’ouvrage. On passe sur les théorisations fumeuses de l’enfant autiste vu comme un vestige de l’animal en voie d’extinction, sur le survivalisme naïf dont l’autiste est le bon sauvage, pour retenir cette éthique de l’autisme qui a fait le charisme de Deligny : « Nous sommes seuls et c’est sans remède. / En prendre son parti et choisir de vivre plutôt autiste. »       

 

Rejoindre le mutisme des égarés en abolissant le langage, tâche de poète – que rejoint, qu’ajointe Sandrine Bourguignon de sa poésie à l’estomac.

 

Recouvrer nos sens perdus qu’ils ont conservés, tel Janmari, le pensionnaire de fond, le dernier autiste comme on dit la dernière femme, qui lui est resté jusqu’à sa mort, sourcier infaillible tournant sur place dès qu’il détectait un point d’eau : « une espèce qui nous revient de loin. Une espèce qui avient et vous êtes allé chercher dans le dictionnaire encore une fois. / Avenir était autrefois un verbe. / Aujourd’hui nul. Et non avenu. »

 

Oublier que l’antipsychiatrie de Deligny aussi collective que celle de Ronald Laing, son contemporain, était individuelle et personnelle, son meilleur soutien a été longtemps le stalinien parti communiste de l’époque – pour la part commune qu’elle éveille en nous.

 

« Votre maison est au creux des méandres de la rivière, dans l’aisselle de l’eau. […] Vous entendez les casseroles qui tapent dans les bois et la vie d’autiste est une scansion. »    

 

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