Le transi des jours, de Chloé Bressan par Christophe Stolowicki

Les Parutions

21 déc.
2022

Le transi des jours, de Chloé Bressan par Christophe Stolowicki

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Le transi des jours, de Chloé Bressan

 

Chloé Bressan, naguère de claire errance (2015) avançant sur les brisées de sa phrase comme sur les brisants d’une fractale, rétracte dans le transi des jours un autre espace-temps, un tempo plus abrupt, un propos plus tragique – le titre n’évoquant pas ce qui transite ni celui qui grelotte, rappelant plutôt le sens ancien de transir, trépasser. Oui, faisant rebondir d’ellipse en éclipse sur le long cours l’anaphore d’un « os » consubstantiel à tout (« L’os de l’instinct. De l’animal en soi. Le registre des disparus ») et s’épandant dans « l’air et l’infini », elle rétracte le poème (« les peaux de chagrin et les peaux de chèvre figées de froid sur les lits ») en zeugmes de longue portée qui se passent d’élan grammatical. Le martèlement de brèves, de rifs, fait jaillir l’éclat de souffle d’un chorus amer. « L’os » et « l’air et l’infini » posent sur toutes circonstances leur regard de mots-clés.

« L’os des vagues, sur le temps. […] Ses feux de naufrage. » Ce livre est à l’os comme d’autres à l’ô, à l’oh, à l’eau de mélisse ou de cendres.

Une enfant est là. « Il y a l’os du fer. D’une dent de lait. L’os d’un champ magnétique. / In-née se dévêt de glaise et de magma. / L’enfant jette ses chaussures, ses culottes, ses jouets / Le manteau qu’elle porte c’est elle qui l’a choisi de cris et d’effroi. » « In-née » mais sur des siècles acquise, assise.

Le courage est-il encore masculin ? Quand un sujet blesse, fâche, est vital, la vie de l’humain en jeu, il faut une poète, à l’écoute, à l’encontre de son ventre, pour oser l’aborder et prendre à rebours la marée compassionnelle. Chloé Bressan a ce cran, pense, à vif, d’infime et grand esquif, dans une solitude (à deux, puis à trois) que la masse obère. Dans « le brouillard exigu et sourd ». Dans le silence du petit matin.

Les protestations de masse (« Ils ont franchi le pont à cinq mille ») la laissent sceptique : « Comment les visages disparaissent noyés sous les visages comment une parole s’orpheline dans la masse et la pseudo-légitimité. » Lucide : « Le noir à bout de bras nous tenons au-devant de nous l’oubli de nos passés. »

« Tu viens d’une source x huit milliards de routes ». Orwell à la rescousse.

« L’événement devient poreux. Combien habitons-nous vraiment la matière féconde ? » […] Nous sommes les derniers invités. »

Ces phrases ont longtemps parsemé le continuum tremens de leur fausse note jazzy, de leur baudelairienne note criarde, la coda éclaire tout : « Il s’avance sur elle endormie se dépose sur elle barbouillé de ce rêve comme un clandestin de nuit. Qu’une seule fois ainsi couché sur elle il réalise l’échappée la marée humaine à combien nous sommes ? Animal, ça dépend de vous. Un de plus un de moins. Ça descend plus vite que l’on ne croit, on n’a même plus le temps de leur donner des noms à tous ceux-là qui continuent d’arriver. / Le poids de l’ange sur nous. On ne peut plus lui dire de se pousser à l’ange on ne peut pas le rendre à sa mère l’ange on ne peut pas reprendre tout à fait au commencement … / L’ange a grossi. À combien nous sommes ? […] / Au-delà. Bien au-delà.  

   

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