Observatoire des extrémités du vivant de Tristan Felix par Christophe Stolowicki

Les Parutions

03 déc.
2018

Observatoire des extrémités du vivant de Tristan Felix par Christophe Stolowicki

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À toute volée de tout bois, celui dont on fait les clowns et les poètes, dont ont fées lambrissé son peu colonial berceau d’Afrique, vieilles souches, bouche à bouche, couche molle, verve louche, Tristan Felix depuis une vingtaine d’années, de l’oxymore de son pseudonyme fait feu à volonté, feu et eau de toutes parts, fluviale voie d’eau, voix d’ô combien d’esprit par pulsation cardiaque.

 

Inégale ça lui est bien égal, « hirsute gale d’aubépine [qui] épate une phalange de silex », ici elle prend les devants et contorsionniste assume, sous prétexte que « l’identité est pure perte de soi », son pathétique de Narcisse plombé, d’écorcée vive sur l’aire de ses airs dispos, touffus, composés. Grimacière tragique dont les clowneries sur scène parisienne (comme Gove de Crustace, Van Gogh de mes gogs) rappellent les bouffonnes mimiques du comédien  Fancioulle de mort héroïque dans Le spleen de Paris, plus avisée que lui elle abonde en aveux pour n’être pas mortellement sifflée. Dans ce livre anti-narcissique par précellence, par fuite en deçà du dedans, évacuation du vide d’un trop-plein, s’impose dès qu’on le feuillette une galerie photos de monstres fœtaux, de ceux dont ici l’on démontre qu’ils hantent davantage nos jours que nos cauchemars ; d’une « tératologie » non la tétralogie, « triptyque » suffit dont le dernier volet figure, esquisse le supplice la corde au cou, ou nœud coulant en perspective, d’un petit chat – ce Narcisse du règne animal dont des parcelles d’or, ainsi qu’un sable fin,/Étoil[ai]ent vaguement le[…]s prunelles  mystiques, ici sacrifié aux mânes qui émanent de l’âme.

 

Cynisme (douloureux) un très faible mot quand « on est liés pour la vie » (son corps et soi). Dans le trésor en prose du miroir de même spleen, « Un homme épouvantable entre et se regarde dans la glace. »

 

La revendication tournant à l’existentiel, dans une galerie goyesque commentée de poèmes fraternels goguenards des bébés fort mols sont photographiés dans leurs bocaux « au musée d’anatomie pathologique Dupuytren à Paris », fixés dans leur détresse ; un bestiaire d’avortons de toutes espèces et configurations, les siamois les plus parlants, « l’avers à l’invisible offert », capté à celui (le musée) « de l’École Nationale Vétérinaire de Maisons-Alfort ». Un sorti d’« un rêve comme on n’en fait plus / depuis que le monde / est étron de potence » ; tel « vieillard de souche » asphyxié moteur en quête de la « fée / pour nous élever dans ses bras / jusqu’où l’air est si rare / qu’on cesse d’y haleter » ; ceux autour de qui la terre tourne « dans le sens inverse des aiguilles d’une ombre » ; quand « le vide / […] a fait des siens / […] des serfs-volants ».  

 

Elle est le vif-argent terni dont le mercure monte. Ses livrées des morts qui « cultivent l’ivraie » retournent sur leur pointe les pyramides.

 

En Tristan Felix s’affiche se démultiplie un talent à toutes mains, celle de la planche à dessin, la scénique où le grotesque en gros textes s’affine, la filmique en super-huit caméra à l’épaule d’épaulard prédateur de cétacés jamais assez, celle de la photographe qu’ici je découvre – toutes s’effaçant ad majorem scripti gloriam. Jamais l’écrit en perdition par tant de mains d’un siècle à mains ainsi porté en triomphe amer sur le bouclier de Clovis d’un clavier désenclavé.

 

 

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