Qui vive de Christophe Manon par Christophe Stolowicki

Les Parutions

22 oct.
2018

Qui vive de Christophe Manon par Christophe Stolowicki

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Qui vive, on a déjà posé la question. Ici magistralement, blanc ivoire sur fond noir, le fond répété, et grisé, répété – la sentinelle a toujours fait feu, des quatre fers, pied à pied, et le ciel s’est déjà éclairci, en amont, en diamant. Il faut toujours poser une question, une sommation, même if it is’nt always worth answering one, dit Oscar Wilde.

 

« Salut à toi, camarade, et sois le bienvenu. » D’emblée Manon me tutoie comme on tue toi tais-toi. « Des milliers d’êtres tourmentés, des figures douloureuses et marginales, qui n’ont pas de nom, ni même de visage, à peine une silhouette, une forme vague, sortent d’une longue nuit, arrivent en pleine lumière et se mettent à parler dans la langue des multitudes traquées […] prolifèrent et s’insinuent jusque dans les recoins les plus reculés du réel. Ils font partie de nous comme la peau sur les os […] Ce sont leur voix, la chaleur de leur souffle que tu entends, camarade, un confus brouhaha, non pas de cris ou de protestations, une sorte de plainte plutôt, de gémissement, fait de milliers de prières, de milliers de sanglots et de milliers d’impuissantes malédictions, comme si une population grouillante régnait alentour et très bas. » Debout les damnés de la terre, « ceux qui n’ont pas été ensevelis [ni] dénombrés, ceux qui ont connu les bourreaux et ne les ont pas craints, qui ont résisté longuement aux persécutions et n’ont pas renoncé, qui ont payé le prix le plus élevé pour le simple droit de vivre dans la dignité [...] ceux des luttes d’émancipation passées, présentes et à venir […] » – tandis que l’éloquence a pris sa vitesse de croisière se précise la curieuse sensation que Manon parle par ouï-dire. Ratissant large, à plusieurs temps de retard sur l’Histoire, afin que nombreux se reconnaissent comme victimes tutélaires.

 

« Tiens bon, camarade, le dénouement est proche. Nous pénétrons dans les zones interdites de la réalité. Nous y retournerons en rêve obstinément. Le jour viendra où ils recommenceront à plaquer des listes sur les portes […] à coller du plomb dans les cervelles gênantes, pleines de souvenirs écarlates […]  voici venir les temps affreux […] la faim, la peste, la guerre […] Seules les bombes fleuriront en couvrant de sang jusqu’aux nids des oiseaux. Seules les larmes […] ». Bref. – Rêve ici dans sa fade acception d’espérance, sans une bribe onirique ; plus loin « tes rêves tragiques et fous ».

 

Tout n’est pas à l’aune de cet acabit : « L’avenir a cependant beaucoup à nous apprendre, camarade » ; ou « La haine passionnément appelle l’amour, camarade » ; ou « Les faits n’existent pas tant que nous n’y avons pas mis du nôtre, une parcelle de notre esprit capricieux et de notre fantaisie ». Manon sait mieux faire que mobiliser contre un ennemi fictif pour mieux nous mettre à genoux devant qui nous use et nous harcèle.

   

Encore un effort, citoyen – pardon, camarade – pour être vraiment républicain – révolutionnaire. Dans ce Qui vive au titre trompeur – de bois se décharge la langue, celui dont on fait les vieilles lunes, quand on attend du poète qu’il la recharge à la prise de terre et aux périls des temps nouveaux.

 

 

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