rapt de François Rannou par Tristan Hordé

Les Parutions

11 févr.
2014

rapt de François Rannou par Tristan Hordé

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   Si le mot "rapt" implique couramment la violence, il peut aussi être lié à "ravissement" — voir « le premier matin    en été voilà ce qui m'a ravi ici ». Rapt est divisé en quatre séquences de tonalités différentes, avec une ouverture plutôt négative (« [...] — images perdues ta mémoire dispersée    désormais ton corps n'est / plus que le mouvement / furtif d'un écureuil en fuite [...] »), et une seconde séquence du côté de la mort titrée "Figures de poètes". Ces figures, liées à la Bretagne comme l'est François Rannou, sont celles de Max Jacob et de Segalen, dont des fragments de Voyages au pays du réel sont intégrés dans les vers ; c'est la découverte de son corps sans vie, « au pied d'un arbre », un volume de Shakespeare près de lui, qui clôt le poème.

   On ne lira pas seulement des pages évoquant la perte : la troisième séquence est consacrée à une sorte de voyage en Europe, titré "14 stelle" ; on lit immédiatement "étoile"(latin stella) — et quoi de plus positif ? — mais le mot signifie aussi "lieu" en allemand (François Rannou est traducteur de Peter Huchel). Villes traversées en voiture dont rien n'est dit, sauf le nom, mais que peut-on écrire sinon la présence de l'autre :  à Vienne, « dans le rétroviseur / il n' y a / plus tes yeux / pers /» ;  à Bruxelles, un bruit de pièces réveille un enfant, et c'est peut-être un écho à un vers refrain d'un rondel de Corbière, cité auparavant (« Il fait noir enfant voleur d'étincelles »). Les lieux des deux derniers huitains, "ailleurs" et "Bretagne intérieure",  confirment le refus de toute description : paysages de nuit, cri de jouissance et bruit des moteurs.

   François Rannou consacre la dernière séquence à l'amitié, à des lieux des Ardennes belges, à Berlin, en partie aussi à Wannsee, ce quartier de la ville où, en 1811, Kleist tua Henriette Vogel avant de se suicider et où, en 1942, fut décidée l'extermination de Juifs d'Europe. Il y a des images de l'immédiat après-guerre (« elles travaillent dans les / ruines elles / ramassent les gravats / les murs tombés du monde / sous leurs pieds en / équilibre / dans leurs mains  / pliées / écrasées [...] »). Il y a la présence de Celan, avec un des mots du poème  "Todtnauberg", Sternwürfel (qu'André du Bouchet traduisit par "cube étoilé"), mais aussi la figure de Charlie Parker.

  On sera attentif aux choix dans l'écriture. Une partie des poèmes de Rapt est construite de manière identique : un vers horizontal se poursuit d'une page à l'autre et se construit un récit, pendant que d'autres vers occupent la verticale de la page, l'un d'entre eux (souvent un seul mot) commun au premier vers. Le dispositif offre une lecture complexe de deux thématiques : détournement (rapt) de l'ordre de la page.

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