Tristes encore de Marc Blanchet par Michaël Bishop

Les Parutions

17 avril
2022

Tristes encore de Marc Blanchet par Michaël Bishop

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Tristes encore de Marc Blanchet

          Après Valses et enterrements (2018) et Le Pays (2021), Marc  Blanchet, tout en reprenant les troublantes ambiguïtés d’une mélancolie qui trouve ses origines dans à la fois le contemporain et la vaste histoire de l’humain, révèle aujourd’hui dans ce nouveau recueil toute la délicatesse d’une foisonnante et sobrement exaltante énergie poétique et artistique. Tristes encore est le site, lit-on, du drame d’un ‘je [qui] vien[t] après l’idéal. / [D’un je [qui est] la mesure triste d’un arpent’ (11), ‘le Temps [ayant] profané nos visages’ (15). Des sentiments de pertes, d’absences, d’inaccès, d’apories, certes, en résultent, mais ces strophes, patiemment tissées et déroulées, puisent plus profond dans les rapports au monde et aux autres. Si, comme écrit Shakespeare, le poète-artiste, comme les autres, ‘struts and frets his hour upon the stage’, il ne rend jamais ses armes, persiste, résolu, refusant l’exil, le ‘détrônement’ (9), ne cessant de chercher, de montrer, tantôt coléreux, tantôt plus centré sur un ‘recommencement’ ((70), fatal mais conscient participant et témoin ‘espérant faire d’autrui / Le parfait témoin’ (10). Au-delà de toute idée d’un stoïcisme, pensant peut-être à d’autres qui ont, comme Mandelstam (Tristia) ou Ovide (Tristes), mais tant d’autres encore, grandement souffert, Tristes encore existe pour honorer ce qui reste possible, s’avère fort, sait ‘résister’, comme dirait Jean-Luc Nancy. Il est, peut-être contre toute attente, engagement, geste vers et pour. Le recueil devient l’action d’un devoir accepté et accompli, cette incertaine mais requise ‘réponse’, comme écrit Jean-Paul Michel, face à l’innommable/l’indicible, ce répons également, cette musique, ces rythmes qui voudraient chanter, quelque part remercier, depuis le bord d’une ‘indifférence’ (« « « ) ambiante qui semble vouloir les avaler. Une ‘élégie’ donc, mais un surgissement simultanément, une eau qui jaillit d’une source insituable et sans autre ‘promesse’ que ce qu’elle est : cela qui vit, vivotant selon, parfois, les apparences, mais comme toute vie, érigeant le ‘minuscule monument de l’âme’.

          Monument d’art, d’artifice, aussi, bien sûr, monument de ce faire, ce poïein, qui, même aveugle, au cœur d’une ‘imperfection’, parvient, même ‘improbablement’, dirait Bonnefoy, à entrevoir une ‘cime’, celle que Gérard Titus-Carmel appellerait la ‘beauté’, à la fois insaisissable et multiforme. Si l’on l’apprécie peut-être mieux cette presque-saisie du désiré dans les deux livres de photos accompagnées de petites proses méditatives qui viennent de paraître dans une série de L’Atelier Contemporain,17 secondes et And Also The Trees, reste que, privé des ressources de leurs belles images photographiques, Tristes encore sait subtilement générer des stratégies strictement langagières, textuelles afin de compenser cette absence, afin de mieux générer le sentiment d’une élasticité, d’une pulsante osmose liant le défigurant, le consternant à une refiguration, une revigorante caresse : la variation de la longueur des poèmes, des strophes et des vers qui les composent, variation opérant cette rythmique mouvance de l’art; le caractère elliptique du poétique qui stimule; une amplification du métaphorique qui diminue le discursif et intensifie l’émotion tout en la complexifiant; un refus de toute contextualisation sûre; cette ambiguïté naturelle et séduisante que crée l’impression d’une articulation rapide et télescopée liée au caractère largement ouvert de ses désignations; les espaces blancs qui, systématiquement invitent à rêver, à inventer des scènes, des scénarios que le poème ne fait qu’effleurer; la dimension souvent autoréflexive des poèmes, offerts comme une vaste mise en abyme de son propre geste, de sa propre gestuelle.         

          Un livre qui persiste à résonner dans ma tête, images absentes quoique spectrales et rythmes langagiers qui me persuadent de la haute sensibilité de la  main et de l’esprit d’un poète qui, aussi, sait regarder et voir.

                                                                                         

 

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