Un gratte-ciel, des gratte-ciel de Guillaume Decourt par Christophe Stolowicki

Les Parutions

03 avril
2019

Un gratte-ciel, des gratte-ciel de Guillaume Decourt par Christophe Stolowicki

  • Partager sur Facebook

 

 

De propos décousus main, l’autobiographie en miettes fait un délicieux pain perdu. Une télégraphie sans fil dénoue les lacets. Le précis de dégagement laisse à couvert de tumultueuses aventures. Il y a plusieurs épaisseurs de verre réducteur de scalps entre Guillaume et le monde, la gent, les êtres, son extrême politesse n’en laisse rien paraître.

 

Assourdi comme peut l’être un écrit. Un voile, un écran, non de bienséance mais de politesse profonde, entre le monde qu’un rien émonde et soi. Une brièveté en deçà de l’anecdote, antidote à quoi. De point en point les phrases courtes, que rarement délasse une virgule, n’ont pas le port de brèves, la suffisance d’aphorismes, de leur accolement il neige une sourdine. Un condensé de concision à pleins et à déliés croche le vide. De versé en vers secs une ellipse court la prétentaine. Des proses de vers secs au format de versets à verstes de non-lieu, narratives en gageure d’un récit éclaté, à l’avers de son aloi.  Sec et salubre. À ce degré de volatilité du suivi on atteint un concentré d’humour de poète – l’opposé absolu de l’humour poétique. Une désinvolture de grand fond(s) gardant en réserve son insolence laisse affleurer par endroits une fêlure de quelques microns.

 

« J’ai l’air d’un touriste dans mon propre pays [la distance peut-être du voyageur pour qui Paris – Athènes est un Paris – banlieue, le ban étant Paris]. Les gens qui s’aiment font chambre à part. » Par exception dans le prosaïsme, « Le bonheur consistait à relâcher des truites dans le trou des étoiles. »

 

En quatre à sept phrases les strophes font quatre lignes, plutôt trois et demi, et la demi d’une heure sonne déjà l’après-midi. En ces quatre à six vers de prose sans rejet ni jeu de jambes sont résumés un court séjour ou sept ans, bribes happées accolées. En l’absence sévère de rime ou d’allitération son premier joint les bouts, son second les assemble, son tiers, son quart en quinte se défont, et son tout se suspend. Ellipses en bottes de Poucet.

 

Il n’est pas de prosodie qui tienne, d’Alex en train qui draine, d’Alex en drain qui traîne. L’ici et maintenant est l’unité de temps, de non lieu, et l’action se balade. L’aporie poreuse de ses privilèges.

 

Les prénoms féminins ont la grâce de l’ouï-dire, le bon goût de changer souvent, tandis qu’un amour, deux amours rappellent à l’ordre strict de la narration. De « la Grecque » et « la Juive » on sait qui a gagné.

 

Le disparate en parade pare à gauche, Père gardez-vous à droite, l’adresse en poste restante restant la précaution d’usage d’un luxe évanescent.

 

« 39. / Un enfant dit pita pour kippa. Myriam enlève son voile. Batsheva est gentille. Sylvie imite sa meilleure amie. Jean-François sait tout sur tout. À Tel-Aviv, un diplomate surveille sa ligne. // 40. / L’alerte à la bombe sur la plage d’Herzliya. Un petit garçon joue très bien du piano [Outre poète, Decourt est pianiste]. Cocktail, Karl Marx et le romantisme. La femme d’Élie bronze. Monsieur Gouriévidis compte jusqu’à dix en chinois. » Une unité de lieu reconnaissable est Tel Aviv où un père ambassadeur est resté longtemps en poste (Diplomatiques, 2014). Le poème dépêche chiffrée.

 

« Il n’y a pas de trésor au pied de l’arc-en-ciel. » (autre exception poétique)

 

« 62. / Olivier se préserve des ours. Pour acheter un corps, l’argent se donne de la main à la main. Christina s’interroge à voix haute. L’accord parfait n’a que trois sons. Un homme sans idées vaut beaucoup. Je n’ai plus peur de manquer ma vie. »

 

Le parcours codé une pudeur.

 

« Prince-de-Galles et pochette à pois se marient bien contre toute attente. » « Dans le bus un faux mutilé de guerre récolte la place assise. » « On ne se doute pas que je suis un imposteur. » « Changer une ampoule ne s’apprend pas plus qu’une langue étrangère. » « Un vieil homme offre des larves à des jeunes filles pour s’attirer leurs faveurs. »

 

Un catalogue de détachement, sans ambages ni pathos. Mondanités toutes saisons. Une douleur vagabonde affleure. Né en 1985, au bout des doigts plus de souvenirs que cils ne cillent, n’oscillent, ne dessillent. Du substantiel à la boutonnière. Du dandysme comme un sang nouveau.

 

De s’être à fleuret moucheté exercé en vers lisses aux saillies légères, enjambements fluides, détachés mesurément (derniers opus 9 h 50 à l’Hôtel-Dieu (2016), Le cargo de la Rébétika (2017)), Guillaume Decourt donne à ces proses plus que proses un imperceptible soutenu fond de contrebasse signant le poète. Oui, sur le front.

 

 

Retour à la liste des Parutions de sitaudis