Une lilliputienne de Béatrix Beck par Christophe Stolowicki

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14 janv.
2020

Une lilliputienne de Béatrix Beck par Christophe Stolowicki

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De Béatrice Beck (1914 – 2008), née en Suisse, d’origine belge, d’ascendance lettonne, italienne, irlandaise, vaste auteure connue pour son roman Léon Morin, prêtre, prix Goncourt 1952, est rééditée ici une œuvre tardive (1993) où sous couvert de minimalisme, de roman picaresque narrant la dérive, les réincarnations professionnelles et amoureuses d’une « naine harmonieuse », se condense et se démultiplie, portée par le feu d’artifice trépidant d’une langue de poète, atelier de Bengale – la métaphore d’une vie au miroir grossissant du tant vécu, du temps écrit. Il faut toute une vie pour qu’elle s’engouffre dans le microcosme de la langue.

 

Une lilliputienne : un tanagra, ah mais, pas une femme-enfant. De délicieuses proportions, « une adulte miniaturisée » à qui est épargné l’homunculus du nanisme. Sa taille varie selon les épisodes, d’un demi-mètre à un mètre peut-être – une métrique prosée implacable lui assure la tête sur les épaules. Bien sûr, de l’enfant chat (1985) sursautent quelques nuances et galipettes félines, mais minés et déminés les interdits (« Le Petit Chaperon rouge […] et le loup forniquaient à côté de la grand-mère endormie »), les niaiseries de la poésie pour enfants romancée restent tenues à distance respectueuse. 

 

« Ses parents l’avaient eue sur le tard, et elle était née trop tôt, à six mois et demi » ouvre les aventures de cette naine supernova, implosante fixe tirée de son trou noir, cosmique comique. « Tardillonne » à tâtons. « Ses parents mourront bientôt, peut-être un peu de chagrin, l’âge aidant ». Prénommée Lia comme liant, Poucette en hotte de sept lieues, ni cannibale ni haute en bottes, « mascotte » par tous choyée à ses débuts, sera délaissée de plus en plus vite. Bérénice sa sœur qui l’a élevée « mourut d’une mauvaise grippe […] Elle avait pris sa vie en grippe, risqua le docteur Bellot ». Un peintre amoureux la prend pour modèle : « Une et multiple, elle dansait avec d’autres Lia, s’élançait à sa propre poursuite dans des rues qui devenaient rivières, présentait d’autres aspects de son être, s’étreignait, se changeait en foule. » Égérie d’une styliste qui dévore son éphémère fortune. Licenciée sans cesse pour raisons sociales ou familiales. Malgré sa singularité, toujours courageuse à la recherche d’emploi. Sur le tard bonimenteuse sur les marchés : « Dépensez, dépensez vos sous pour des joujoux. Donner aux enfants, c’est placer l’argent à cent pour cent. » 

 

Lucidité et verdeur des répliques ne sont pas d’une femme-enfant mais d’un écrivain suspendu sur son enfance à tour de bras, à bras l’accord. Un esprit étincelant lâche ses fusées, ses confettis, ménage ses chutes. L’épigramme d’humour se convulse se condense sans insolence. Le récit affleure et rebondit à fleur de mot à mot d’auteure ; méticuleux à l’élastique, enté sur le temps (« La cheminée […] utilisait sa tablette grivelée comme présentoir d’une parade de parents défunts, devenus avec le temps des inconnus »). L’ô nanisme heureux dit la délicatesse non la petitesse. Multipliant les « acrobaties verbales » pour ne pas tutoyer le peintre qui la tutoie, « Je veux bien ne plus avoir de vêtements mais je ne veux pas me déshabiller en public », répond-elle quand il demande à la peindre nue (elle obtient un paravent). Ténuité pic et comble du féminin singulier.

 

Se greffant sur l’épisode central de l’amour peintre, dans une symphonie de roses tavelés de noir (le premier travail de Lia : composer en usine des roses artificielles « en boutons »), Annabelle Guettara, illustrant ce livre en prélude et en coda, peint d’audacieuses pensées florales de femme-fleur à fleur de pensée, simultanément de face et de fesses et en médaillon sur une même peinture en pied, un florilège de l’identique en corymbes, en ombelles, en grappes, en poupées russes.      

 

 


 

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