Ballade du vent et du roseau, de Christian Viguié par Christophe Stolowicki

Les Parutions

06 mars
2022

Ballade du vent et du roseau, de Christian Viguié par Christophe Stolowicki

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Ballade du vent et du roseau, de Christian Viguié

Il y a quelque chose d’exemplaire dans le travail, l’œuvre, l’écriture, l’éthique de poète de Christian Viguié. Il s’impose en fabuliste de l’aporie, prenant au plexus, à l’œil – à l’œil surtout, mais jamais gratuitement. Il est notre contemporain capital anticapitaliste. Où Marx théorise, les théories de Viguié sont de pures processions – de la pensée, du regard.

Éthique du dénuement, épurant la phrase, le vers, giflant le siècle. – Tout n’est pas à prendre à la lettre, mais au mot, au vers.

Serrée ou fluide, l’intrication ou le lâcher aller d’une ferveur.

Bien sûr, il nous la baille belle étoile. La revanche et la belle, au bois, au pré dormant. Les dormants d’une fenêtre ouvrant sur tout l’essentiel, l’existe en ciel – d’un lit à même le talus, le pavé nu. Le pavé ciselé, dans la mare à Dieu ni diable.

« Étonné / comme le pré / avec sa rosée / et sa lumière ». Ou, une humble présomption affleurant : « Avec une de mes larmes / j’ai emporté le soleil. »

« Le jour s’offrait entre nécessité et distraction ». Sous le poids d’une libellule, « une herbe […] ployait jusqu’à iriser l’eau ». Enfance.

« Hier était une corneille / Elle sautillait sur une branche / Je n’avais pas de cage / Ma mémoire n’était pourvue / d’aucun barreau // Ainsi / ne me reste d’hier / qu’une plume noire » : celle d’un homme sans passé mais non sans qualité.

À une époque de chiffres où les nombres ont disparu avec nos ombres chères, une table de multiples posée à cœur sur « la table de nuit », est pratiquée la preuve par la neuve journée.

De cette ballade (l’opus principal) le roseau est pensant et le vent emporte bien des miasmes. La vaste nature – mais qui peut se circonscrire aux toujours mêmes collines et pas –  est l’atelier d’un poète sur le motif qui a fait vœu de pauvreté, chevalier errant qui affiche du « vagabond [la] rudesse [et l’] abnégation face au froid » – la négation vertu.

« Si je dis : le pré / ou la forêt / est-ce que quelque chose / changera en moi ? » Seule la poésie sait poser les vraies questions que toute sagesse d’Orient ou d’Oc livre comme un document.

« Comment prévoir / le dialogue entre le soleil et le corbeau ? / Est-ce que le soleil se posera / sur une branche / avec ses griffes noires // ou est-ce que la lumière / proviendra du vol affolé du corbeau ? » L’éblouissement comme seul maître à penser, distinctement.

Chez Christian Viguié, les plus simples comme les plus nouées métaphores forent  phosphorent le réel. Une immanence « cille les paupières claires de l’horizon » où Spinoza bégaie. « La langue du vent […] dissociait dans chaque objet sa confiance intrinsèque », écrivait-il déjà il y a un quart de siècle.

Le présent ouvrage, en effet, outre deux inédits, l’éponyme et Chemins cousus sur des ombres, outre Paysages dans la neige (1996) dédié à Breughel, reprend Le Livre des transparences et des petites insoumissions (1997) où se condense en gageure d’intériorité le récit, concret à fleur d’abstrait, méticuleux dans l’indéfini, de l’extrême précarité des premières années d’homme de Viguié quand le poète campe, dix-huit longs mois, dans une ruine d’un village abandonné du Rouergue. Au « baiser furtif des tuiles » espérant par grand froid « dépasser la frêle éternité ». Entretenant des braises, « dentelles sombres qui s’irisaient comme des roses récalcitrantes », aux « sautes d’humeur » de la flamme. « L’hiver conférant […] une sorte de lucidité au paysage ».

En regard de cet engagement premier, le stoïcisme antique fait sourire de son drapé d’éloquence.

Parmi les titres d’une œuvre abondante, Passé décomposé (roman, 2015) dit bien le temps qui porte Christian Viguié au plus nu – le mode demeurant un indicatif qui scrute le point aveugle.   

 

 

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