Blanche de Antoine Boute. par Guillaume Fayard

Les Parutions

11 févr.
2005

Blanche de Antoine Boute. par Guillaume Fayard

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Neige à l'écran


Le dessin animé le plus parfait pour la saison, vous l'avez vu cent fois déjà. Pourtant, cette fois, vous ne reconnaissez rien : la poésie s'empare des sex-symbols de votre jeunesse. Il y a de la friture sur la page - le dessin animé a dû changer depuis votre enfance.

On voit : un corps laiteux dans une bouche rugueuse. ..."mes mains écuelle presque en bois les griffures plaies la mélasse de l'eau"... Là, vous vous souvenez : au début, Blanche Neige astique la maison de la vilaine marâtre, celle qui est "la plus belle". Mais - rien à faire, ça résonne : quelqu'un a pris le corps de BN comme porte-voix, il parle dedans. Le monsieur de la voix dans Blanche dit tout ce qui se passe dans la voix off de Blanche, et il le dit à même son corps de neige. De ce point de vue, neige sonore, du corps, on comprend qu'elle tangue, se râpe un peu les rôles, s'émousse : BN s'use la candeur à faire la truie dans l'eau de vaisselle.

On ne l'avait jamais vu suer, Blanche Neige. Emouvant ce corps très actuel de fille du début du XIXème, les seins comprimés à la tâche. Pour autant, on voit mal, on a le nez dans son épaule - toute une perversion du cadrage : grand angle, de trop près ; pointillisme appliqué au pouce - portrait de groupe "non facturé".

Le récit avance en coulisses ; Antoine Boute reste souvent très-fidèle aux frères Grimm (les trois tentatives de meurtre de la marâtre sur Blanche, le supplice des pantoufles brûlantes), mais parfois, il s'éloigne du conte, et ce sont sans doute les moments les plus intéressants : féérie en forêt, rêves érotiques, beuverie farcesque avec les nains. La marâtre, c'est Haine (N ?) qu'il faut l'appeler maintenant. Ca va très mal tourner pour elle - le prince charmant aussi aura des surprises (passage d'anthologie en perspective).

Tout de même, il y a du Grand-Guignol dans Blanche, et quelque chose inquiète dans la précision du rendu : plus le point de vue est flou, plus la parole fait mouche. Blanche est un livre politique sur le corps dans la langue, un lai râpeux en bouche. Ca suinte de désir et de lignes de fuite. Un grand désir d'écriture (D) se lit dans Blanche, d'une effervescence et d'une simplicité radicale, c'est-à-dire violente, qui n'ajoute pas à la complexité du monde mais plutôt, la figure.

Depuis quelques pages, on lit maintenant à voix haute. Mal : c'est que le texte est écrit, précisément - très écrit. On dérape. On n'a pas l'habitude d'une syntaxe aussi organique (pas moi). Pas d'autre moyen de s'en saisir que de la laisser fourcher, cette langue, se jouer de ce qu'on savait de Blanche, de ce qu'on redoute d'avoir compris de ses appels, de s'être fait intimer en douce. Reste à la laisser jouer dans les co(r)des - jusqu'à en (faire) sortir blanche neige, sans doute, l'extirper, pantelante : ce en quoi Blanche n'est pas seulement une réécriture, mais aussi bien un livre sur "rien" (Flaubert). Un travail de langue à suivre... au plus près.
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