Holocauste (2) de Charles Reznikoff par Christian Désagulier

Les Parutions

12 mai
2017

Holocauste (2) de Charles Reznikoff par Christian Désagulier

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Holocauste n’est pas une traduction des poèmes d’Holocaust, même à e près, compte tenu de ce dont ils témoignent, de ce dont ils rendent compte, les poèmes d’Holocaust sont le paradigme de l’intraductibilité même : poèmes donc..

A la question de savoir si le poème après l’Holocauste, et partant toutes opérations de conversion de la réalité dans l’unité du mot qui relève de l’art du langage – fut-elle inconcevable, inimaginable, imperceptible : elle le fut -,

à la question de savoir si cet écart entre soi et le dos des appareils de poésification – de renversement, l’image objective projetée derrière étant inversée,

aux cinq questions en W auxquelles doit s’astreindre tout poeter et commençant par Who (qui) ? When (quand) ? Where (où) ? How (comment) ? Charles Reznikoff répond à toutes sauf à Why : pourquoi ?

y répond par le vertige intérieur que déclenche la lecture d’Holocaust , physiquement comme aux Mohawks de Manhattan à boulonner des poutres au dessus du vide..

Toutes questions auxquelles le poème de Charles Reznikoff répond oui pour rien.. Répond que Why ? pourquoi ? est l’objet du poème, la question à laquelle il ne peut pas être répondu sciemment mais dont la nécessité s’impose, pousse dans le dos jusqu’à l’extrême du mot pour mot au dessus du vide..

Si Témoignages, Les Etats-Unis 1885-1890, paru en 1965 procédait de prélèvements opérés dans les archives de tribunaux américains, Charles Reznikoff va s’attacher aux archives des procès de Nuremberg et d’Eichmann à la sollicitation de son épouse Marie Syrkin : il n’est pas un « survivant » du génocide des juifs (Who ?), en Europe (Where ?), durant la Seconde Guerre Mondiale (When ?), par tous les moyens (How ?), mais son judaïsme de fils d’émigrants russes aux pogroms et sa condition de poète, ces deux survivances conjuguées l’auront conduit en bout de poutre (Why ?)..

Passé maître dans la conversion réifiante des faits, dans l’effet unique des mots tels que témoignés à ce quelque chose près - , les transposant dans cette prosodie atonale qui est sa marque, c’est à dire en ôtant les altérations qui mélodieraient ne serait-ce qu’un peu pour oublier l’insupportable de ce dont on parle ou l’accentuer ce qui revient au même - Charles Reznikoff ajoute à chacun des témoignages le témoignage implicite récurrent de la capacité d’objectivation de la langue américaine, moyennant le respect d’un certain mélange stœchiométrique des mots..

Si la proposition d’André Markowicz * que les éditions Unes publient aujourd’hui comme pour rappel de Qui ? Où ? Quand ? et Comment ? cela peut avoir eu, a et aura encore lieu au sein de l’espèce animale douée de la parole, la parole qui est son lait, la parole qui est de tous les commencements étant consubstantielle à son dévoiement comme à son dépassement par le silence, cette traduction apporte une fois encore la preuve qu’à Pourquoi ? il ne peut être répondu qu’en remettant la parole toujours sur le métier dans une autre langue, fut-elle la même, dans cette réitération infinie : le travail du poème..

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* .. qui en explique les circonstances sur sa page facebook en date du 29 septembre 2016, comparativement avec celle de Jean-Paul Auxeméry (éd. PRETEXTE, 2007, épuisé) : https://www.facebook.com/andre.markowicz/posts/1811809995697971

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