Joe Bousquet, L’opium des songes par Mathieu Jung

Les Parutions

7 mars
2025

Joe Bousquet, L’opium des songes par Mathieu Jung

Joe Bousquet, L’opium des songes

L’œuvre de Joe Bousquet se présente comme une imposante masse de texte, un journal lyrique « à la fois rompu et ininterrompu » (Hubert Juin) où les lettres à Marthe, à Ginette, à Germaine « Poisson d’or », à Fany, à Linette et à quelques autres constituent une part non négligeable. L’Opium des songes rassemble les lettres jusqu’ici inédites de Bousquet à Ginette Lauer (11 juillet 1938, jusqu’à la fin juillet 1945).

En dépit du nombre de correspondances entretenues par le gisant de Carcassonne, celles-ci ne souffrent à vrai dire pas de redite ou d’enlisement. Les lignes de force y sont néanmoins maintenues. Elles irradient de la blessure de Bousquet, de ce que Gilles Deleuze qualifia d’ « événement pur ». À savoir : un éclat d’obus qui vint rompre la moelle épinière de Bousquet, le 27 mai 1918, sur la commune de Saint-Mard en Seine-et-Marne.

Cette blessure reçue comme un sacrement amoindrit Bousquet tout en l’augmentant. Le baiser sanguinolant du jésuite Houdard (« mon grand Houdard » — il mourra au lendemain de l’événement cardinal) est ici rappelé. Bousquet en parlait déjà dans une longue lettre à Denise Bellon. La blessure reparaît ici, selon une clarté vivifiée, accrue : « je vivrai jusqu’à ma dernière heure l’instant où j’ai accepté ma blessure ».  

Ces lettres brûlantes, souvent flamboyantes, sont mâtinées d’impossible : « Vous êtes, grâce à votre jeunesse, le mirage des lieux vers lesquels je dois diriger mes pas qui n’arriveront nulle part. » Quelquefois, le ton est celui de lettres à une jeune poétesse : « je ne parl[e] pas en maître, mais en aîné. ».  Il s’y tisse une morale singulière, un art de vivre propre à Bousquet : « Le secret du bonheur est, je crois, de se faire une vie entre ses pensées et ses paroles et de se rendre capable d’habiter une voix. »

Habiter une voix — mais c’est aussi bien celle de Bousquet qui nous habite, dans le terrier de cette œuvre au noir. Qu’on en juge sur pièce : « Pauvre cœur éternellement en enfance, qui bat en moi honteusement, nuit étoilée du monde où je m’avance en désespéré ; il est le pressentiment des bonheurs auxquels un homme n’ose pas prétendre, il ne sait pas qu’ils sont inaccessibles, mais il ne sait pas que l’homme s’en est détourné. L’aveugle n’a pas vu que je le menais loin du jour et il continue à me parler du soleil. » L’opium des songes regorge de semblables formules, où Bousquet se dévoile et tâche de s’offrir à l’aimée : « Mieux que par vos pensées je vous connais par vos visions, j’attends que mon monde s’inspire du vôtre. »

L’opium des songes a été imprimé sur du vélin de Villalier. Cela compte. Villalier étant, on le sait peu, un lieu choyé de Bousquet. C’est depuis cette villégiature qu’il écrit à Ginette, la guerre venant tout juste d’être déclarée : « Voici l’heure où la vie est plus menaçante que la mort. Tout est si lourd de présages que l’on craint d’y penser autant que n’y plus penser. […] Seule l’idée d’un malheur trop grand pour l’homme lui fait un espoir susceptible de le conduire. »

On est ému de découvrir des morceaux aussi substantiels (quelque 150 pages), et l’on s’attend à ce que d’autres remontent à la surface. À commencer par la correspondance avec Jean Paulhan, qui sera éditée, tout comme L’opium des songe, par Paul Giro.

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