l’arche inuit de Denis Ferdinande par Christophe Stolowicki

Les Parutions

09 nov.
2020

l’arche inuit de Denis Ferdinande par Christophe Stolowicki

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l’arche inuit de Denis Ferdinande

 

L’innovation majeure, formelle de grand fond, de ce Journal de poète, compact en sa touffeur d’arche inuit, entendez « archi-nuit » d’une collection d’architextes, arche inouïe où cohabitent tous les registres d’une culture sauvée des ô, est d’être sans rupture sans rature seulement scandé, ponctué par les dates entre crochets de sa rédaction, à brefs intervalles. Ainsi va son cours sinueux, capricant, souvent allitéré, dont la digression est la règle, assemblage de fragments comme de ses multiples crus un champagne, pétillant au palais, au pas laid comme seule définition du beau, aux pales, hélices de l’insondable nuit, aux pâles et lisses absorptions d’un alphabet du monde.

Ces repères temporels évasifs sont l’éclair souriant qui, dans cette profusion de culture déployée en association mieux que libre, libertaire, anarchiste de droite et de gauche emmêlées où Freud ne retrouverait pas les siens, justifie qu’on soit invité à s’y servir en ouvrant au hasard, tel Baudelaire pour le spleen de Paris, mais sans qu’ici soit requise l’attention due au génie ; aussi peut-on lire cet opus comme une hygiène partagée par temps de Covid, lyre contenant l’ire et la délectation, s’ouvrir à l’écriture comme sur aucun divan ni en aucun atelier.

Ce qui le distingue d’une analyse didactique au long cours est qu’aucune émotion n’en déchire le voile léger, n’en perce la carapace ; que Narcisse, ou le diable selon Lacan, puisse impunément en trompe-l’œil, comme sur le tableau de Dali (Métamorphose de Narcisse, 1937), se mirer dans son ô.

Pris au hasard donc ou presque : « tel rêve, il n’y a pas une heure, pas le moindre souvenir si ce n’est qu’une phrase s’y prononça […] le rêve – serait d’enregistrer les rêves, que cela fût déjà techniquement possible, afin de n’en rien perdre, la phrase en question pour l’exemple, le réveil flanque toujours tout par terre (tout au plus tels fragments s’en sauvent, et restitués en langue et grammaire distinctes de celles du rêve au nom de la compréhension, la traduction déforme raccordant ces fragments irracordables […] ). Que je ne me réveille jamais plus – est-ce vouloir la mort ? – saurait devenir la phrase, et en cela suppliante, il en fallait une, pour l’actuel fragment, [20/07/2017] J’allais oublier […] le rêve se prolonge, se propage, ce serait cela la mort peut-être (une extinction de rêve avec les millénaires indiffère, d’autres relaient, s’éteignant à leur tour, doucement, à peine un reste de phosphène, gardant la mémoire de la lumière, ayant fait rage ». On est loin des démonstrations de Freud, des farces langagières de Lacan, on vogue en pleine phénoménologie du rêve, légère évanescente à son instar, jamais fulgurante  à son sporadiquement récurrent exemple. On a écrit sous la dictée.

Tout ce qui fermente là côtoie son cœur de cible, disjoint l’immarcescible.

« Mais tu cesses de répondre, voilà la cruauté de l’heure, que je m’extraie dès lors de tout mouvement, je parviens à la chambre afin d’y reprendre souffle, le divan qu’est-il à confier, et à qui, si peut-être tu n’es plus présent ? Qui en décide ? Et tenez, qu’est un déicide je m’absente pour savoir, il y eut un dieu régnant sur le volume, décidant de toutes choses jusqu’aux cruelles, [16/07/2018] L’arche inuit est à présent affaire du passé, ses gestes au-dessus de la phrase (frôlent l’oubli déjà) […] l’errance, même, par laquelle s’affinait, et de mémoire, la vision, la phrase portée à haute voix afin de la vérifier, sa métrique impossible* [les astérisques, fréquentes, ne renvoient à rien], non qu’elle relevât du poème qu’est ce nom, le réglage syntaxique seul, réalisant quelque scansion ».

Le sujet, soit à son propre objet l’objet de soi, n’a que faire sur un divan, ni en fauteuil de face, ni même de biais, ce biais qui régit les relations animales.

À partir d’une lettre E (« avec rotule centrale en acier par quoi la lettre pouvait être mue, y ajoutant l’accent ») du XIIIème siècle, le dessin de couverture, apparemment de Denis Ferdinande, décline une théorie d’accords, fléchés, tapis, tout un bonheur lettriste diacritique qui, comme le livre, dissémine son sujet moteur.

 

 

 

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