MUM IS DOWN d'Oscarine Bosquet par Bruno Fern

Les Parutions

09 mai
2012

MUM IS DOWN d'Oscarine Bosquet par Bruno Fern

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Si l’on tient à suivre le conseil de G. Bataille1, on n’a guère le choix que de s’attarder à ce livre bref mais intense dont le titre peut rappeler la célèbre berceuse, écho distancié par le passage d’une langue à l’autre. Associer une telle légèreté au drame évoqué ici ne paraît pas inapproprié tant le lyrisme sobre mais énergique d’Oscarine Bosquet2pourrait être qualifié d’aylérien3, aussi aérien que grave – la gravité étant à prendre dans les deux sens du terme puisqu’il est question de la chute volontaire de la mère qui

n'a pas laissé de mot
pas de liste des choses à faire
ni armes ni vivres
ni cachette ou abri
aucune forme pour journée
à matin pas d'indice
rien ni pour l’après-midi
seulement chute de midi dans nuit.


Fait qui risquait de laisser sans voix celle pour qui il s’agissait d’un enjeu d’autant plus crucial que cette voix coïncidait peu ou prou avec celle de l’écriture, d’où la nécessité d’en passer justement par là pour ne pas se retrouver murée dans le silence. Cette contrainte vitale a donc donné naissance à un texte où la tragédie est à la fois clairement nommée et tenue à distance, ce qui fait qu’il échappe au fil destructible (car amorphe) d’une poésie qui ne serait que personnelle, par exemple grâce à d’inattendues précisions scientifiques :

Le souvenir de la chute
sa chute qui m’entraîne
ce mouvement décisif
après quoi on regarde
les restes
288 os.


et, au-delà, par toutes les permutations, les ruptures et les ellipses qu’opère la coupe des vers, c’est-à-dire par le travail d’une écriture qui, court-circuitant le sens ordinaire sans esbroufe, cherche à détourner la trajectoire vers d’autres espaces que le sol dur fermé – ainsi celui de l’enfance, passage obligé :

compter
d'un pied sur l'autre ses pas
pour avancer
sautiller caill
caillcaill
cailloux


et, à la fin, celui du conte, rempli d’interrogations quant à la figure maternelle et à ses effets à double tranchant :

Est-ce toi maman le loup qui invente ?
Et la marâtre qui ne serait pas toi ?


histoire de trouver, à travers le rythme [des] tendres ordures, le sien propre. Indéniablement, le texte constitue une tentative de donner forme à ce qui pourrait ne plus jamais en avoir (Aujourd’hui n’a plus de forme ni / demain pétrifié / dans hier.), d’apporter la preuve en mots que l’épreuve a été surmontée, que la verticalité significative du poème, poussée parfois jusqu’à un démembrement (ma / man ?) où la pudeur d’une tendresse rentrée peut également se lire, a permis d’inverser le mouvement fatal en évitant à l’auteur d’y être emporté à son tour :

Mais à l’envers le film l’envole
vers moins de fracas
plus de stabilité
à l’envers vers ascension
les bras cherchant le ciel
du sol je vole ensemble
loin du contour
au sol de la chute


et, puisque « en toute chose le don // le trésor c’est / l’envol »4, au bout du compte le lecteur sait que, même si c’est en boitant, la danse a effectivement eu lieu – et qu’il est désormais possible de la poursuivre.



1 « Comment nous attarder à des livres auxquels, sensiblement, l’auteur n’a pas été contraint ? » (Georges Bataille, Le Bleu du Ciel).
2Déjà sensible dans l’ouvrage précédent, le magnifique participe présent – cf. participe présent d'Oscarine Bosquet par Samuel Lequette
3Du moins d’un certain Albert Ayler, celui d’Angels :
Albert Ayler Angels - YouTube
ou de cette extraordinaire interprétation de Summertime :
Summertime - Albert Ayler - YouTube
où douleur et douceur sont intimement mêlées.
4George Oppen, Itinéraire, éditions Unes, 1990.

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