No Thanks de Cummings par Bruno Fern

Les Parutions

24 juin
2011

No Thanks de Cummings par Bruno Fern

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No Thanks
telle fut, en 1934, la réponse de 14 éditeurs à l'envoi par Cummings de cette suite de 70 poèmes, d'où sa décision pour le moins radicale et insolite de disposer leurs noms en forme d'urne funéraire sur la première page...
Traduits par J. Demarcq et accompagnés d'une postface1aussi documentée et subtile (donc aussi passionnante) que celle qui figurait dans l'autre ouvrage de Cummings paru récemment chez le même éditeur2, ces textes, où l'usage des mots se fait avec une liberté peu commune (et toujours à la lettre près), ont tout pour dérouter le lecteur qui n'en vaut pas deux - et retenir d'autant, espérons-le, son attention. La composition du livre, du nul merci (à un monde qui voulait l'ignorer) au merci final (adressé bien au-delà de la mère de l'auteur), mêle les sujets de société - souvent traités avec un humour qui n'hésite pas à se montrer féroce :

hic jacet I Fœtus (non né ne mourra pas

auquel sans nul danger l'époque va comme une tombe)
avec tous ses jouets(fric gens voitures « à moi »
yachts lévriers maîtresses)et que tous lui succombent

les portraits (danseurs de revue, boxeur, clochard, Américain dit moyen, etc.) et les phénomènes naturels (où dominent lune, pluie et saisons), bref, de « l'hétérogène pur »3 comme il se doit. De plus, l'amour4est récurrent (et même vainqueur), lui dont le caractère imprévisible et exaltant est en adéquation avec l'énergie d'une écriture protéiforme :

à l'amour sois(un peu)
Plus attentif
Qu'à tout
tiens-le seulement peut-être

À peine moins
(étant au-delà d'ô combien)
serré que
Rien [... ]

Et, puisque Cummings disait de ses poèmes qu'ils étaient « essentiellement des images », les pages du livre furent - et sont ici - assemblées verticalement, à la manière d'un carnet à dessin. D'ailleurs, l'écrivain, qui se voulait également peintre, a disposé plusieurs poèmes comme des quasi calligrammes et très souvent utilisé picturalement les signes typographiques5, le but étant d'atteindre ainsi une dynamique dansante :

dé.
contr-
Actément

fatidique)je
m'élèvebas exencontorsion-
né hauttombe et

Suis le grave gai le vivant depuis nu
-lle part(!ferme!)en ex-
tension,suis avec fer

-veur(s-
ou
-tien Suis

racine air roc jour)
:toi;
souriez,mains

(a-
NOny
-meS

A une époque où commençaient à se fissurer certains idéaux collectifs (après un voyage en U.R.S.S., Cummings fut l'un des premiers à en dénoncer l'impasse matérielle et idéologique, ce qui lui valut de nombreuses inimitiés), écrire a constitué pour lui l'une des rares issues encore possibles - où il s'engouffra magistralement :

beaucoup ne puis)
mettre en pièces le monde:&le
jeter;ni
causer la croissance d'un nuage sans cause

pourtant,jamais
ne doute que ma faiblesse
ne fasse
mieux que la pire
force(mais moins que ces combien

moins qu'infimes fleurs de pluie)lourdement
j'échoue en finesse je
réussis [... ]



1En plus de repères biographiques et bibliographiques, il est indiqué précisément à quelles pages de la postface il est question de chaque poème - du grand luxe !
2font 5, éditions NOUS, 2011.
3J.-F. Lyotard, Au juste, 1979.
4Tout particulièrement celui que Cummings éprouvait pour l'exceptionnelle Marion Morehouse, enfin rencontrée après deux divorces.
5D'où l'impossibilité technique d'en donner ici les exemples les plus acrobatiques - raison supplémentaire d'y aller voir.

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