Pour tenir debout on invente d'Édith Azam et Liliane Giraudon par Christophe Stolowicki

Les Parutions

22 juin
2019

Pour tenir debout on invente d'Édith Azam et Liliane Giraudon par Christophe Stolowicki

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Malgré l’exemple illustre de Breton et Soupault les livres à quatre mains me déconcertent toujours. Du cadavre exquis à tout ce que d’échos s’altèrent s’allitèrent deux ego théoriquement égaux – nonobstant que la poésie doive être faite par tous, je ne joue pas le jeu et indiscrètement m’efforce de déceler qui a écrit quoi. Ici ce devrait être facile, trente ans séparent les deux auteurs.

 

L’ouvrage est subtilement structuré en trois parties où l’on passe du deux temps (première partie, début de la seconde) de bribes ou brèves certaines en caractères nets, d’autres légèrement effacés, au temps unique d’une graphie bien marquée (fin de la seconde partie et troisième sans plus coup férir) qui convient davantage à l’énonciation d’aphorismes. Mais cela ne saurait distinguer l’aînée de la cadette, fausse piste.

 

Je renonce. Aphorismes très peu d’ailleurs, fragments plutôt qui se répondent, souvent à côté – ce latéral qui d’élitisme transversal dérobe, écarte toute suffisance de pensée bien timbrée, laquelle ici se desquame en un semblant de dialogue subliminal  ravalant ses amébées points de suspension.

 

Critique du langage, sensible, hérissée, deux femmes se renvoient le ballon, ne se payent pas d’émaux (« bien sûr qu’ils nous oppriment leur langue est un nid de frelons » ou « ils nous fusillent le langage »). Sursaut de registres, coqs à l’âme (« je ne sais plus de quelle ville au bord de la mer il s’agissait ni de quel bras du fleuve » quand « elle lisait Emily Dickinson en s’introduisant une bite dorée dans le cul »).

 

De qui est quoi ? À « cette année encore j’ai eu une radio du thorax elle ne m’a pas été épargnée » en caractères de retrait auquel répond, à plein sans déliés, « il s’est mis à courir comme un fou en hurlant je veux me tourner vers la vie je veux me tourner vers la vie », ou à « après toutes ces années il ne m’a pas reconnue alors je suis sortie et je n’ai rien dit » que violente « ouvrir un minuscule interstice et s’y engouffrer » – plus de doute.

 

Du punching-ball à la punch line deux duellistes non interchangeables prises au panier de mes basques, les partenaires d’un double jadis mixte, permuté parce que les couples ne s’entendent plus, deux poètes que par respect je ne nommerai jamais poétesses – se passent & repassent le mot, le relais comme nous ne saurions. À la bande joyeuse de jeunes hommes en colère répond, un siècle après, un duo de femmes, l’une apaisée par les ans, l’autre en verte colère.

 

Qui n’oublient pas ce qu’elles doivent (ce qu’en elles nous devons) au surréalisme à son déclin – ne se contentant plus depuis longtemps d’être muses ou égéries.

 

Échange de confidences (« je jetterais mon corps partout » contre « cet homme ne m’a jamais pénétrée mais je crois que je l’ai aimé ») ; aux dièses de jeunesse (« commettons le poème » l’apposition de bémols (« mais alors que cela se fasse sans briser le cercle des racines ») ; plus lectrice l’aînée (« Jean Genet raconte que c’est en entrant dans un fourgon cellulaire qu’il est devenu un visionnaire exact », florale (« non cette grappe de lilas n’avait rien d’ensauvagé »), aux retours de sagesse (« je ne savais pas que le corps était le tombeau provisoire de l’âme ») – abrupte la benjamine (« ma peau j’y suis en trop pour faire face », « alors cesse d’aboyer mords », « ils l’ont torturé sans répit ses nerfs ont fini dans un bouillon de vermicelles »).

 

Deuxième partie : après quelques pages où les graphies alternent, tout est à présent en caractères bien tracés. Il me semble pourtant reconnaître les deux voix. Se confondant peut-être davantage. De qui « il ne sait pas que je le lis le relis ni même à quel point j’aime son travail » ou « aujourd’hui le théâtre est dehors et dehors il fait froid »? je suis prêt à parier. Mais « j’avance désormais dans la peau d’une vieillarde » ou « je n’avais jamais conçu le livre comme un étrangloir » ? je ne sais. Femme et femme n’ont pas écrit ce livre en vain.

 

Troisième partie, brève. Je crois encore distinguer les auteurs, n’en jurerais plus. D’un rejet la bribe a tourné poème : « oui le champ de trèfle oui les genêts oui la nuit / portative ».

 

Je peux m’être trompé du tout au tout.

 

La photographie de couverture, d’un incongru fauteuil en métal de jardin public au fond crasseux d’une piscine vide, cligne des deux yeux à un surréalisme outrageusement désuet dans les résurrections de sa version historique.

 

 

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