Prononcé second de Marie-louise Chapelle par Aurélie Foglia

Les Parutions

29 nov.
2010

Prononcé second de Marie-louise Chapelle par Aurélie Foglia

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La poésie dans un état second



Dans Prononcé second, Marie-louise Chapelle explore la potentialité du chiffre deux. Des couples organisent la répartition des poèmes en sections. La « Section Lucrèce II » se divise en deux parties, elle-même encadrée en bonne arithmétique par « 1 » et « trois », avant de conclure sur « double » et « second ». Le titre de ce deuxième livre (après mettre., paru au Théâtre typographique en 2006), avait éveillé ma curiosité. Je me demandais quelle était sa « cause dans la série des causes », sachant, comme l'écrit la poète, que « la cause décide une série quand tout dérive ».
La poésie se trouve restituée d'entrée de jeu à ses origines orales, à ses capacités articulatoires et sonores. Voici un livre qui revendique haut et fort sa dimension phonatoire. Le dernier poème, « second », postule la tension entre écrit et diction : entre « le regard ou l'intonati-on : je / reprends ». La diérèse souligne la dimension vocale du verbal et la dénomme aussitôt « je » en contre-rejet. Prononcé second : ce livre s'appelle de la façon dont on le dit. Il indique son rang d'apparition dans le corpus de l'auteur, mais pas seulement.
On s'aperçoit vite que c'est un livre pensé. Pensé avec art - art au sens ancien, aussi, de technique. Procédant à la magistrale et presque magique réapparition du mètre, il le rend méconnaissable différemment de ses déformations et de ses infractions habituelles. Il s'ouvre par l'invention d'un sonnet ( ?) scindé.
Entre décalage et décalquage, entre profération et profanation, la poésie, « lentement, oppose un rite ».
Les pages enregistrent des microséismes sémantico-sonores qui font disparaître des pans entiers de l'édifice-poème.
Création, sécrétion du corps et du temps, la littérature s'éternise en s'altérant. Elle a ses modes de reproduction quasi organique. Elle se duplique.
Dans la section « double », chaque poème présente deux versions mises en regard. L'original se décline. Dans la chrysalide d'écrire, il mue à l'œil nu. Il devient modèle. Il se périme en partie. Il agonise, il se restaure dans le blanc des marges. Il perd ses mots et change d'expression. Il se fait mouvement : la matière verbale se reconfigure. La poésie circule. « Parfois admise la similitude », la langue oscille et s'engage dans des résolutions différentes. Un autre processus que celui qui régit l'image ou les correspondances s'engage. La paronomase, en faisant osciller le son, fait et défait le tissu verbal. Quoi de plus proche que « gloire » et « glaire » ? Que « Nue » et « vue » ? Que se passe-t-il quand « touffe » devient « étouffe » ? Le poème ainsi jumelé renvoie l'œil à son va-et-vient, l'interprétation à son fonctionnement analogique. Ce « jeu / noir » est un « jeu / voir ». Le sens se dessine autrement. Les mots copulent et se rétractent, inépuisablement compatibles et distants. Leur « cortège / entièrement unique » montre à quel point le texte, réceptif aux plus intimes modifications, appartient au vivant.
Il est un perpétuel « Dit Naissance ».
Ce livre a signé une reconnaissance de « dette fixe ». « Je dois apporter de la littérature » dit non sans ironie le poète, qui écrit sous cette contrainte : « Je n'étais pas fait pour dire de ces choses ». Croire aux mots, c'est procéder forcément à sa propre apparition élocutoire. Car tous nous sommes gorgés d'encre, dit le premier sonnet ( ?) scindé du livre, de cette encre qui « confisquait la voix ». Vers la fin, les remerciements aux poètes défunts servent à désigner des hypotextes « que le genre dévaste ». « Je remercie Pierre Jean Jouve, Charles Cros, Gérard de Nerval, Robert Desnos, Charles d'Orléans, Mir Bernat, Stéphane Mallarmé, …tienne Jodelle, Arthur Rimbaud et Jean Tortel. »
Des échos suspendus, fragments flottants du mal tu, ravivent des accents qui sont autant de réminiscences. Il n'y a que de « faux commencements » (« second »). Dans le temps interne à la poésie, le poème n'est jamais tout à fait autre, jamais tout à fait pareil. Petits airs... Ces inflexions éclairent à nouveau le titre, Prononcé second. Elles rappellent la secondarité qui refonde la littérature contemporaine, attachée au reflet de ses sources. La poésie s'inspire.
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