pRose des Rats de jean-pieRRe bobillot (2) par Christophe Stolowicki

Les Parutions

24 mars
2019

pRose des Rats de jean-pieRRe bobillot (2) par Christophe Stolowicki

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À ras non à étiage, au ras non au taquet, orale à l’envol d’un râle d’eau est une prose en vers que ravagent les rats. Les « rats d’ô » des radeaux qui nous restent ont rongé la quille. À bon chat bon rat, de ceux qui prolifèrent de grand arroi dont sauver la planète. Héra la déesse, héraldique alambic, « Amon Râ » le dieu, tout ce qui court la prétentaine de cieux d’encre et de labyrinthe. Ramassé à ravines, raturé de tuerie, ravalé de plaines et de bois, « Ravaillac » à quatre chevaux d’abois. De ratages symptomatiques, de déroutage consubstantiel, d’écriture d’automate, non automatique, d’associations contraintes à figures libres de patinage ratistique. Ah qu’il est bon, fertile de marquer une pause dans l’allitération arrière toute, de rats apicaux ou fortement roulés, grasseyés uvulaires, dorsaux-vélés.

 

« Danse, ma cabrée ! » « Rats des villes, rats des gouffres ». « L’homme au rat /// Ah ma ptit’ Dora La Râ … leuse / La Ra … colleuse / La Ra … dieuse / La Ra … illeuse ». Les cas cliniques d’éclat clanique visuel et sonore dont s’honore de botter en touche un poète au long cours permettent-ils d’abonder sans anicroche dans l’aristoloche, cette grimpante volubile ? Noyé quel poisson en le sortant de l’ô ?

 

« Rat… madier / Rat… m’dam’ ! / Rat… ma dent ! », non elle n’est pas simple la corde à nœuds dont se désaccorde le corps à cœur avec la langue, aux rares temps faibles d’inversion (« L’accapareuse », « des rats / partout ! partout !!), aux tropes sous-entendus. Au beat rock à retours de jazz. Nœuds de drisse, nœuds d’écoute, de griffe, de bonnette et demi-clef, aucun nœud plat ni nœud de bois.

 

Car quelle truculence, quel appétit gargantuesque, à re dont dance emmi la panse, quelle (souterraine) envolée, quelle verve de quelle faconde – j’omets les points d’exclamation dont Bobillot est prodigue. Devant tout ce qui débonde marquent une stase quelques arrêts sur image ou sur citation – de Shakespeare, Poe, Mallarmé, Rimbaud (Puis ils auront affaire au malin rat), au plus juste, au plus substantifique d’une culture féconde que n’émonde l’immonde rat. Dans le flux associatif scintillent des pépites d’esprit, d’esprit pour autant que le spirituel est raticide.

 

Bobillot, ou ce que la performance perfore de l’immense soi.

 

À salves capricantes que le caprice essaime, l’anaphore non plus raclante mais lacunaire, mais dévoyée, le Poème trop long qui fait suite s’entête à rimer, sans tête arrimé, écume la langue commune et la plus superlativement littéraire, en alternance, en récurrence de figures de style et d’instillées jubilations, virevolte du plus vocal (« comme un ventre sans nombril / la 1001 sans les 1000 ») au plus lettré (« ou comm’ la Justine sans l’Émile »), passe du plus mécanique (« C’est comm’ les goûts sans les couleurs ») à l’implicite (« comm’ les pilules sans les couleuvres »), au pourpensé à tours & retours de langue et tours de reins, du coq à l’âme. En émane une sourde – et aveugle mais non muette, peu factuelle poésie, cénesthésie faite poème. À vers mâchés, à vers moulus démoulé l’usage.

 

Le non-dit avéré (« comm’ Vénus sans l’écume / comm’ le chacun sans sa lacune / ou comm’ Venise sans sa chacune ») asséchant la lagune. Rimes embrassées en bastringue, anacoluthes de haute chute. Une diérèse (« les pleins sans les déliés / faire le plein sans bourse délier ») dissolvant, épiçant la synérèse. De l’esprit en pagaille, un catalogue de bouts rimés arrimés, la métaphore dans tous ses états, la synecdoque en rafales. Quel grammairien alexandrin saura nous définir (« comme c sans dille / […] comme é sans ciel ») ce qui sur le bout de la langue s’arcboute en ogive, en rosace et mieux-disant boute du champ de foire tant le poétique que le poétisant ? Une poésie modérément visuelle, outrageusement sonore, à présent ombrée d’omissions légères qu’un clin absout – rimbaldise (« c’est comme science sans patience ») l’aphorisme. Elvin Jones homme orchestre à sa forge. De ces quatrains sortant du tunnel en sifflant deux fois émanent une sourdine pensée, une résonance différenciée qui ne sont pas sans rappeler le bon Guillaume.

 

Envoi à une « Lady Staccato » son improbable amour, un Plaidoyer pour l’intellectuel calomnié (« c’t éphémère enfileur d’éphèbes »), une « impayable stichomythie d’tics » répète sur plus de quatre pages une antienne de disque rayé jusqu’à ce qu’en jaillisse, de « mes 39 heures » à « mes 120 journées », la litanie de tout ce que le nombre, ni premier ni dizain ni d’or, a frayé dans la langue. Un art sériel d’Andy Warhol.

 

Socratique Silène pansu pensant mieux que roseau.       

 

En quatrième de couverture (rare politesse), une postface lumineuse d’Éric Blanco inventorie le champ de tropes sonores d’abord, exhaustive à plusieurs registres en peu de lignes. 

 

 

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