Yves Boudier, Silentiaire par Philippe Di Meo

Les Parutions

01 déc.
2021

Yves Boudier, Silentiaire par Philippe Di Meo

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Yves Boudier, Silentiaire

Senti comme un néologisme latinisant, le si beau mot[1] constituant l’en-tête du recueil interroge, au premier chef par ses peu banales sonorités.

Aiguë, l’initiale sifflante stridule, s’assibile même, quand, étrangement, à rebours de la signification immédiatement perçue du terme, son dernier phonème résonne avec l’ample vibration d’un orgue bourdonnant, comme sous une vaste voûte romane ou gothique implicite. Cette sorte de latinisme ainsi posé le laisse du moins supposer. Tant et si bien que, singularité phonique s’il en est, sur un plan purement acoustique le mot évoque le bruit tout en désignant – paradoxe en appelant beaucoup d’autres – un ouvrage composant un discours sur le silence, certes drastiquement économe de ses mots.

Les acceptions du mot, la profane et la sacrée, renvoient l’une au silence qu’une audience impériale requiert, l’autre au retrait religieux de tout commerce verbal. À certaine solennité, quoi qu’il en soit.

De sorte que le recueil d’Yves Boudier raréfie les mots sur la page qu’il dispose sur deux colonnes parallèles. Le blanc, remémorant au lecteur toute une tradition de Mallarmé à Du Bouchet, y occupe une large place. Ne faut-il pas que silence se fasse ?

Et dans le même temps, le lecteur ne peut pas ne pas y associer spontanément le ressassement, évidemment spiritualisant, auquel une bonne part de l’œuvre de Maurice Blanchot nous a accoutumés.

Dans une préface aussi alerte qu’élégante, Pierre-Yves Soucy pointe un « écart sidéré – de soi à soi » prévenant un « manque entre les mots par un ressassement d’où la parole relance à l’infini une prise caractérisée par la permanence de sa reprise. » Saurait-on mieux définir le registre où l’Yves Boudier de Silentiaire[2] évolue ?

Le recueil s’inscrit ainsi dans la mouvance du minimaliste international car sa langue est concentrée et contractée à l’extrême dans l’horizon de son degré zéro.  Et cela, par décence, selon la convention éthique polémique de cette école informelle si largement diffuse. Le lexique est y l’objet d’une sélection intraitable. Exemplaire.

À ce stade, un autre sentiment se fraye la voie en nous. En France, le minimalisme n’a-t-il pas trouvé dans l’"écosystème mental" d’un cartésianisme dominant un fertile terreau propre à profondément l’y enraciner ? Comme si pareil courant était anticipé et, pour ainsi dire, "prévu", par toute une tradition de pensée évidemment rationaliste, naturellement spéculative, délibérément philosophante.

Concentrant un petit nombre de mots récurrents, le vocabulaire d’Yves Boudier compose un recueil éminemment allusif. Tel est l’effet induit par le silence étale qui cimente les mots clairsemés sur la page sur un mode apophatique ou paratactique. Autrement dit, à l’instar d’un discours décrivant son objet plutôt négativement, comme certains théologiens leur dieu, pour nous dire ce qu’il est en nous disant ce qu’il n’est pas. 

Une tradition cartésienne paraît ainsi curieusement subsumer certaine proportion de lyrisme paradoxal évidemment foncièrement anti-lyrique, peut-être même néo-oraculaire. Car la sporadicité du mot sur la page produit par ricochet un effet d’écho certain venant animer le silence sans bizarrement totalement le briser. De sorte qu’une longue vibration appelant à la méditation accompagne le moindre mot diversement délesté de son contexte. Pareille incertitude est productive. Car le lecteur est mis au pied du mot comme au pied du mur. Ainsi responsabilisé, à lui de procéder à une contextualisation d’un propos poétique élusif et circulaire.

 

 

 

[1] De silentiaire on trouve les définitions suivantes dans Le trésor de la Langue Française : 1) huissier chargé de faire régner l’ordre et le silence dans les réceptions impériales à Byzance ; 2) officier chargé d’ordonner les audiences impériales du bas empire romain ; 3) garde de l’Empereur, bas empire romain. Le substantif littéraire qualifie pour sa part : 1) une personne encline à garder le silence ; 2) un religieux qui observe un silence monacal par obligation, un trappiste par exemple.

[2] Dns un tout autre registre stylistique, Yves Boudier est, par exemple, également l’auteur de Vanités Carré misère, L’Act Mem, 2009. Dès le titre, le mot vanités renvoie cependant lui aussi à certaine piété baroque.

 

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