MÉRIMÉE par Christophe Stolowicki

Les Incitations

19 févr.
2021

MÉRIMÉE par Christophe Stolowicki

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Une délicatesse morale, une pénétration, des traits d’esprit et de courage, ce n’est pas un écrivain que je décris mais l’homme que laisse filtrer l’écrivain – comment tromperait-il son lecteur ? Avec cela, l’un des plus purs prosateurs que je connaisse, toute envolée lyrique asséchée, rabattue à l’essentiel. Ayant à la quarantaine dit tout l’essentiel. Grand voyageur parlant plusieurs langues, érudit de curiosité, non par passion de scribe. Pas plus que Barbey ni Stendhal n’ayant cinquante duels à son actif. De lecture aisée, coulante, émouvante de grand fonds – il faut l’avoir pratiqué longtemps pour s’imprégner de toute sa subtilité simple. Chez personne, ni Balzac ni Flaubert, je n’ai lu un dîner de garçons – gens du monde ou journalistes – aussi succinct que fusant d’à propos comme dans sa nouvelle Le vase étrusque. Bref, Prosper Mérimée, l’égal des plus grands ravalé à un rang qui n’est pas le sien, et sur qui, au siècle pénultième décisif, je ne donne le pas qu’à quelques poètes.

Il est facile de le dédaigner comme un auteur facile. Pis que si l’on réduisait Colette aux Claudine. Dans les récits d’autofiction (La double épreuve) multipliant les garde-fou. À ceux en gageure de superstition (La Vénus d’Ille, Lokis), à l’égal de Maupassant dans Le Horla suspendant tout démenti rationnel. Il est l’honnête homme qui ne se pique de rien sinon avec humour, malice, culture haute et large.

Je lis Mérimée comme si je lisais Walter Scott. Du velours pour l’estomac. De cape et d’épée, de cap et d’épaisseur d’une vie. Mérimée qui en aparté avec le lecteur est égal à Stendhal. 

Mérimée l’un des happy few, d’exquise politesse.

Imprégné jusqu’à la moelle d’Histoire universelle d’Agrippa d’Aubigné, il sait dans Histoire du règne de Charles IX, son premier roman relatant la Saint-Barthélemy vue de l’intérieur, comme Stanley Kubrick (Full Metal Jacket ) filmera la guerre du Viet Nam de l’intérieur, plus long que tout ce qu’il cisèlera depuis et malgré quelques complaisances romanesques, faire ressortir comme personne ce que le massacre, ordonné par un roi, eut de populacier (précurseur de celui des Juifs d’Europe, hallali et alleluia) –  ce que ce protestantisme eut d’aristocratique, en accord plus de deux siècles après avec la raison élitiste d’un athée.

Sans la munificence dont témoigne, imprégnée dans le paysage, la plus humble église ou chapelle.

En lisant Mérimée, autant peut-être que Flaubert, on sent combien la prose fut une conquête, une dure conquête qui en retour a transformé le vers, l’avers en son endroit.