Arthur Rimbaud, par Roger Gilbert-Lecomte par Tristan Hordé

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20 juil.
2021

Arthur Rimbaud, par Roger Gilbert-Lecomte par Tristan Hordé

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Arthur Rimbaud, par Roger Gilbert-Lecomte

Roger Gilbert-Lecomte (1907-1943), René Daumal (1908-1944) et Roger Vailland (1907-1965) sont à l’origine de la revue Le Grand Jeu et du groupe qui prend ce nom — la revue aura trois numéros de 1928 à 1930. Bien que les œuvres de Gilbert-Lecomte soient toujours disponibles, proses et poèmes, et qu’un volume de poèmes ait été publié dans une collection de poche (Poésie / Gallimard), il semble un peu oublié aujourd’hui. La réédition de ses deux textes à propos de Rimbaud (publiés en 1971) devrait inciter à le (re)lire. Le premier figurait au printemps 1929 dans le n° 2 du Grand Jeu, le deuxième introduisait, la même année, des lettres de Rimbaud aux éditions des Cahiers libres. Gilbert-Lecomte y développe ce qu’est pour lui l’écriture de la poésie, conception que précise Bernard Noël dans un texte incisif.

Gilbert-Lecomte situe d’emblée les poèmes de Rimbaud à l’écart de ce qui s’écrivait de son vivant et toujours à l’écart en 1929 : « (Rimbaud) montre les limites de tout individu parce qu’il vécut lui-même à la limite de l’individu ». Il était donc du côté de l’« extrême », de l’« impossibilité », « au-delà des limites », et Gilbert-Lecomte, qui se veut hors de tout « dogme » (il n’a pas voulu adhérer au surréalisme), entend bien suivre un programme analogue. D’abord en n’acceptant plus la « notion obscure à souhait » du beau et, de là, par « propreté morale », en rejetant dans tous les domaines « l’art dans ses manifestations les plus hautes comme les plus basses ». Ce programme radical fait table rase de tout ce qui lui paraît appartenir à « l’art pour l’art », c’est-à-dire une « hygiénique distraction pour oublier la réalité trop dure à étreindre ».

L’essentiel est dit. Gilbert-Lecomte constate le gouffre existant entre le (bon) « goût », les discours des « connaisseurs » et la misère matérielle de ceux pour qui l’art n’est même pas un mot. Pour lui, on peut tenter d’abolir cette distance en y mettant le prix ; il faut alors abandonner « toute habitude (...), toute technique acquise », oublier tous ses souvenirs, tout son passé, et ce travail doit conduire à « une ascèse jusqu’à l’image pure de la véritable création. » Ce parcours, comme celui de Rimbaud, obéit à une « morale terrible », qui demande d’engager tous ses moyens pour « refuser tout ce qui n’est pas cela, en sachant pertinemment à l’avance que, quoi qu’ils atteignent, ce ne sera jamais cela. » La beauté, alors, sera toujours indissolublement liée à une « idée morale de révolte », ce qui se traduit par « non, non et non » devant ce qui reproduit indéfiniment les modèles dominants.

La révolte qui ne sait pas encore se dire et se vivre est, selon Gilbert-Lecomte, au cœur des lettres de Rimbaud. La lettre dite « du Voyant » établirait les « fondements de l’éthique et de l’esthétique contemporaines » et, aussi fortement, poserait la question du « sort définitif de toute tentative humaine ». Gilbert-Lecomte se dit intimement persuadé que Rimbaud, conscient de l’inanité possible de sa vie, a préféré tout quitter. Après avoir "vu" l’impossible, il aurait en gagnant la mer Rouge cherché « le labeur qui exténue et les souffrances, et le soleil tueur, ah ! le soleil de la mort qui lui feraient oublier enfin le feu qui le brûlait toujours. » C’est là l’image de ce que fut la vie de Gilbert-Lecomte, qui voulut atteindre l’invisible grâce aux drogues et à l’alcool.

Dans un court essai au titre évocateur, Bernard Noël cerne les contours de cette quête inaboutie de Gilbert-Lecomte. Il pose une équivalence entre la mort et le mot, la mort étant aussi pour lui signe pour « noter des traces » ; le poète du Grand Jeu vivait cette relation, d’où « l’espèce de consumation accélérée dont il se fit une règle » et on lit cette consumation dans son œuvre. Bernard Noël reconnaît dans les textes une « nostalgie du prénatal », c’est-à-dire un état d’avant le début de la vie, d’avant les mots, de là dans l’œuvre « une sorte de tremblement entre la souvenance et la voyance ». Pour Rimbaud « La vraie vie est absente », chez Gilbert-Lecomte la vraie vie a été.

 

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