Bernard Groethuysen et Alix Guillain, Lettres 1923-1949 à Jean Paulhan et Germaine Paulhan par Tristan Hordé

Les Parutions

27 oct.
2017

Bernard Groethuysen et Alix Guillain, Lettres 1923-1949 à Jean Paulhan et Germaine Paulhan par Tristan Hordé

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Les noms de Bernard Groethuysen et d’Alix Guillain, tous deux un peu oubliés aujourd’hui, précèdent ceux de Jean et Germaine Paulhan : leurs lettres, surtout celles du premier nommé, constituent l’essentiel de la correspondance, tout simplement parce que celles des Paulhan n’ont pas été retrouvées. Groethuysen (1880-1946), philosophe érudit, Allemand naturalisé français, était un passeur soucieux de faire connaître ce qui lui semblait important bien au-delà de son domaine. Il a notamment publié de son vivant Origines de l’esprit bourgeois en France et son Anthropologie philosophique, posthume (1953), a été rééditée dans la collection Tel de Gallimard. Alix Guillain (1876-1951), sa compagne, traductrice entre autres de Rosa Luxembourg, adhérente de la première heure au Parti communiste, travaillait notamment à la réunion de documents pour Moscou. Tous deux étaient proches des Paulhan : l’un commence ses lettres par « Cher Paulhan » avant de passer à « mon cher ami », « mon cher Jean », pour l’autre Germaine Paulhan est « mon petit ».

Groethuysen enseignait à Berlin ; il venait souvent à Paris mais ne s’est établi définitivement en France qu’en 1932, comprenant que la situation politique en Allemagne se dégradait rapidement ; il aidera d’ailleurs ensuite des réfugiés allemands, comme la photographe Gisela Freund. Pendant ces années, il demandait à Paulhan de lui écrire plus souvent, par exemple en 1926 : « Ne gardez pas tout pour vous tout seuls, mais donnez-moi un peu de votre vie, puisque je vous aime bien tous les deux. » Il souffrait beaucoup de n’avoir pas suffisamment d’échanges avec son ami, terminant une lettre, « Il est temps qu’on se revoie pour parler de tout cela » (1929).

Collaborateur de la Nouvelle Revue Française dès 1920, donc en même temps que Paulhan qui dirigera la revue à partir de 1926, il a été l’un des fondateurs de la Bibliothèque des Idées de Gallimard. Tous deux ont par ailleurs largement contribué à l’élaboration des sommaires des revues luxueuses qu’étaient Commerce et Mesures, financées par des mécènes, et les lettres de Groethuysen sont souvent relatives à ces travaux de revuiste. Il donne par exemple en 1927 un compte rendu des Douze petits écrits de Ponge parus l’année précédente, où il écrit : « Une parole est née dans le monde muet » ; il sollicite l’avis de son ami à propos d’une note sur Les Conquérants de Malraux. Plus largement, dans une lettre (21 septembre 1938), il aborde toute une série de sujets : travaillant à un sommaire de Mesures comprenant plusieurs écrivains allemands (Hölderlin, Möricke, Musil, Döblin), il le note et le commente pour Paulhan ; il passe ensuite à une rubrique de la NRF (L’Air du Mois), puis aux livres que Paulhan lui a mis de côté, à l’enterrement de Jean Longuet (petit-fils de Karl Marx), à sa relation à Sartre — « Fascination d’un dialogue » — qu’il a rencontré en 1926.

La correspondance entre les deux amis porte également sur des questions philosophiques (vérité et sincérité, esprit critique et esprit de négation) et, en lien avec Les Fleurs de Tarbes en cours d’écriture sur des problèmes de langage, notamment sur la relation entre pensée et parole. Un autre objet de débat qui revient dans la correspondance pendant des années, porte sur l’opposition entre singularité et totalité ; B. G. rouvre cette question d’une manière humoristique en 1946 après la publication par J. P. de ses Entretiens sur des faits divers (1945). Ce fut sa dernière lettre ; venu au Luxembourg pour y soigner un cancer du poumon, il meurt le 18 septembre de la même année ; A. G. décrit à J. P. les souffrances des derniers jours de son compagnon.

Les lettres d’Alix Guillain à J. P. sont d’une militante qui défend les positions de Moscou, quelles qu’elles soient, et qui ne comprend pas les doutes de son correspondant sur le bien-fondé de la politique soviétique ; en juillet 1939, donc un peu avant la signature du pacte germano-soviétique, elle lui fait la leçon : « jamais elle [l’URSS] n’a été pour une guerre de conquête et jamais cela ne sera, vous le savez bien d’ailleurs », et un peu après : « Vous ne voulez croire à Rien, Jean, et vous aimez à exercer votre esprit dissolvant sur les idées ». Aveugle sur la politique de Staline, elle reste ensuite fidèle aux choix du Parti communiste français qui se cherche une virginité en boycottant tout écrivain qui ne s’est pas élevé contre l’occupant pendant la guerre ; elle écrit à J. P. en 1947 pour interdire la publication d’un article de B. G. dans le n° 2 des Cahiers de la Pléiade à cause de la présence d’un texte de Marcel Jouhandeau. J. P. lui rappelle que B. G. n’y aurait pas été opposé et rompt avec elle, qui en est très affectée.

Des annexes rassemblent des hommages à B. G. (de Paulhan, Jouve, Malraux, Cassou, Ponge, etc.) et une biographie d’A. G. par Bernard Dandois. Comme tous les livres publiés aux éditions Claire Paulhan, cette correspondance est accompagnée de notes précieuses : elles rétablissent le contexte des lettres, développant ce qui n’est qu’allusif. La documentation photographique, abondante (une quarantaine de reproductions) offre des images de chacun des correspondants à différents moments de leur vie, plus riche pour B. G. On y voit par exemple les participants dans les années 1920 aux décades de Pontigny, qui ont précédé les colloques de Cerisy, ou le groupe de la NRF en 1937 (Audiberti, Supervielle, Calet, Malraux, etc.).

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