Eugène Leroy, Toucher la peinture comme la peinture vous touche par Jean-Claude Leroy

Les Parutions

27 mai
2022

Eugène Leroy, Toucher la peinture comme la peinture vous touche par Jean-Claude Leroy

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Eugène Leroy, Toucher la peinture comme la peinture vous touche

« C’est toucher qui importe.
C’est le maître mot, le seul qui existe.
C’est là ma seule histoire de l’art. » 

 

Eugène Leroy (1910-2000) est un bonhomme. Il faut l’avoir entendu dans l’accent de sa voix du cru (le nord de la France mâtinée de Flandres), avoir vu quelques photographies de lui dans son jus, son atelier, sa maison de vie, pour prendre la mesure d’un personnage qui ne saurait prendre la pose. C’est à partir d’entretiens qu’a été composé ce nouveau livre des éditions L’Atelier contemporain. Des dialogues éclairant à propos de peinture, de la peinture d’Eugène Leroy, qui semble tellement à part de l’art contemporain, alors qu’il y est partie prenante à plus d’un titre.

Orphelin de père dès l’âge de un an, un oncle prêtre va prendre en charge l’instruction du jeune Eugène qui saura très tôt à quoi se destiner, mais n’osera pourtant l’avouer. Et c’est à un emploi de professeur de français, latin, grec, qu’il s’occupera une trentaine d’années, pour survivre, non sans s’adonner à l’art pictural, qui est sa vraie passion, sa vraie demeure. Son père peignait, nous dit-il, « Il avait un naturel, une naïveté que je n’ai jamais eue. » « Après, l’académie l’a gâché – c’est dommage. » Et surtout il n’a pas eu le temps, mort trop jeune. Alors le fils vivra longtemps.

La littérature va d’ailleurs être sa maîtresse presque autant que la peinture, il déclare un jour qu’il a essayé de croire que c’était Rimbaud qui devait faire de lui un peintre. Montaigne aussi bien, ou Racine, La Fontaine, qu’il place très haut. Plus tardivement la lecture de Proust (Le temps retrouvé) le bouleverse, puis Thomas Bernhard.

Mais c’est bien sûr le voyage de son regard dans la peinture qui le fait parler le mieux de son propre travail. Rembrandt revient sans cesse, qu’il décrypte avec attention et patience. De Goya il note le fond orangé qui explique la lumière particulière dans ses tableaux. Et puis Cézanne ou Picasso, mais aussi Mondrian ou Bacon, il y a chez Eugène Leroy ce rapport très physique à la peinture, c’est pour lui assurément une matière et il en fait part. Quand on lui demande s’il est un peintre abstrait il répond par la négative, tout en précisant qu’il n’est pas figuratif non plus. C’est en peignant qu’il a appris à dessiner, et il dessine sans cesse des têtes, nous dit-il. Ce qui nous renvoie peut-être à sa passion pour Giacometti. D’ailleurs, il préfère que ce soit les autres (les autres peintres ?) qui aient raison. À New York devant des toiles rouges de Rothko, il éprouve une des plus fortes émotions de sa vie.

« Olivier Céna (Télérama, 1995) :

– Qu’est-ce que la peinture par rapport au regard ?
Eugène Leroy : Certains grands peintres comme Rothko ont résolu ça par le minimalisme. Moi, j’en ai rajouté, comme Giacometti en a enlevé. Mais c’est toujours par le regard que la peinture vit. Je ne recherche pas le beau. J’ai un appétit en peinture aussi élémentaire que ça : je cherche l’autre, ce qui me tente chez les hommes et les femmes, le regard. » 

Les propos du peintre peuvent paraître déconcertants à qui s’est habitué aux généralités abstraites et définitives qu’on entend parfois de la bouche des amateurs de culture lors des soirées mondaines ou dans les livres faciles. La peinture est d’abord une expérience concrète pour qui la pratique, et Eugène Leroy se soucie peu d’émettre des « vérités » quand il a pour souci de comprendre ce qu’il fait, ce qu’il peint. Dans son atelier où il passe ses journées, souvent avec Marina – à la fois son modèle et sa compagne –, il observe les changements, il absorbe non pas la tendresse mais la vivacité de sa femme, ce corps nu devant lui, il ne s’agit plus d’un stéréotype, mais « un rapport à la vie réelle ».

« Depuis un an, grâce à la glace qu’il y a là, sur cette chaise et qui est maintenant cassée […], j’ai trouvé ce que je cherchais depuis longtemps : la qualité de valeur de la peau de Marina (de sa joue, de sa cuisse). […] C’est ça qui me fait peindre. » 

Et quand on lui fait remarquer qu’il n’aime guère parler de son travail, il répond qu’on parle trop, qu’on a tort de parler. D’ailleurs, il ne donne guère de place aux intellectuels ou commentateurs, et s’appuie presque exclusivement sur les purs littéraires ou artistes. C’est avec eux qu’il commerce et qu’il réfléchit, tout en exerçant un art singulier, une recherche qui n’appartient qu’à lui.

Remarquée par son collègue peintre Georg Baselitz, qui participe à son « lancement », son œuvre est maintenant connue et reconnue : des tableaux extrêmement denses, remarquables par leur épaisseur et leur entremêlement de couleurs, et le fait qu’on les découvre toujours progressivement, tant ils ne se laissent voir que des yeux qui prennent le temps de faire le chemin jusqu’à l’image, jusqu’à la matière, jusqu’à la lumière.

 

« Je voudrais vraiment faire un tableau qui ait sa propre lumière sourde à lui.
Et qui soit là.
Et que les gens puissent y voir quelque chose. » 

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