Fragments du discontinu d’Isabelle Baladine Howald, par Christophe Stolowicki

Les Parutions

28 sept.
2020

Fragments du discontinu d’Isabelle Baladine Howald, par Christophe Stolowicki

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Fragments du discontinu d’Isabelle Baladine Howald,

À l’épreuve  majeure d’une séparation avec l’être aimé ; à l’épure majeure sans un bémol, à l’irradiante lumière – le sensible reprise, rapièce le conceptuel. Dislocation du temps-lieu auquel abonde, que répare un patchwork de l’être. Fragments du discontinu, ou l’incomplétude substantielle redoublée.

Où l’âme est en question, quand le psychisme a fait long feu. Où la poésie seule répond, que peu de philosophie seconde. (Non, ici beaucoup de philosophie.) Où seule la poésie contemporaine, en sa double ponctuation où domine le blanc, dit le discontinu.

« mon discontinu     ego sum » : où Descartes sur ses ergots dressé, l’ergotant égrotant Descartes que ses ergots ont lâché, reçoit la gifle de l’animale condition – celle de l’âme, étymologiquement. D’un moi ajouré, récurrent.

« printemps dehors, telle une hallucination » – de soleil railleur.

« sciure de voix // voix diffractée » – lémures du son.

L’animale condition de « parfois aveuglément     chercher le toucher ».

Comme tout poète authentique, Isabelle Baladine Howald doit être lue lentement – avec de brusques accélérations, celle des battements du cœur par exemple, pour suivre la queue de comète de sa pensée à l’œuvre. La raison sa seconde peau – de chagrin. Ce que la douleur lui arrache porte toujours la forme entière de l’humaine condition. Pudeur les coups de botte en touche conceptuelle.

« Je     se mit à bégayer à la fin de l’été // j’essayai de placer mes tempes entre les barres de fer de l’escalier /// resserrer [… ////…] mon discontinu ego quand je ne parlais pas quand je ne mangeais pas quand je ne marchais pas quand je ne désignais que les choses en hauteur : / […] la lanterne la pendule / l’hélicoptère / la nuit étoilée »

Souffle heurté – non hoqueté ; Valéry convoqué à la rescousse de Descartes ; une poésie laconique, non lapidaire. Ce qui pèse sur l’ego, le moi seul qui sens mon cœur, est le pas de deux rompu qui l’a constitué, dont l’évidence reste latente, sensible par violents à coups où le corps revient en force.

« pousses-tu ta tête contre le mur comme contre le ventre histoire de sentir quelque chose » : comment être ego soi quand la raison se démembre. De la cartésienne poète prise non en défaut mais au défaut de l’être, déferle l’engouffrement des synonymes, le contrepoint des antonymes – jusqu’au lâcher prise tant attendu ( « revient / ton odeur ta douceur ton souffle […] / la sensation d’opacité, peau, carrure, contours, tessitures //ce chatoiement de toi en moi »).

Tessitures : « cet objet du désir     la voix ».

L’hallucination simple (Je t’ai vu passer     mon fantôme     dans le couloir », « Toi mon membre fantôme ») prévaut sur le rêve.

Au final (« Mon âme pensai-je – qui est ton âme »), ce final que de Leibnitz en Derrida, de Pascal en Celan Isabelle Baladine Howald retarde avec une maîtrise absolue, Descartes  enfin réfuté comme Dieu si le diable ne l’est pas. Et l’on comprend pourquoi ses nombreuses citations sont en capitales (italiques) évanescentes, comme passé un coup de chiffon.

André Hirt, le dédicataire (« I et A les lettres de ma vie », écrira-t-elle) est un philosophe connu, plutôt hegelien que cartésien. Fragments du discontinu, un début de prise de distance de la poète ?      

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