Hall de Louis-Michel de Vaulchier par Christophe Stolowicki

Les Parutions

12 déc.
2018

Hall de Louis-Michel de Vaulchier par Christophe Stolowicki

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Un crobar. « À quoi sert ce machin ? / C’est un truc assez efficace. » Mais qui, page de droite, « se met en marche et se déglingue, projetant » ses organes, vis, boulons et « chevilles », tout le chevillé au corps du poème. Je retrouve avec bonheur Louis-Michel de Vaulchier, celui de Physique de l’horizon (2013), le pascalien resté à ses premières inventions, le spinoziste opticien d’avant L’éthique, Charles Cros phonographe non polygraphe, le scientifique poète avant qu’il ne se dévoie dans les lettres. À l’aune de son prosaïsme, Bouvard et Pécuchet sont des lyriques.

 

Pourquoi a-t-il abandonné les sciences dures, mathématiques et physique qui ont fait de lui ce rhapsode singulier tout en « cahiers de labo » et crayonnages abrupts et jeux de mot à mot ? Pour passer par la case lettres et se frotter au Zarathoustra qui pas plus que les Liaisons ne résonne à son unisson.

 

Hall est au crobar la « galerie » tout en « cimaises » d’un artiste total, celui que l’on devient par soustraction. Bienvenu le passage à la ligne performance avec bassiste d’un vidéaste heureux, le bouquin poème qui en résulte renoue avec le fil à fil d’une Recherche peu proustienne, toute mémoire abolie. Le pur présent de l’écriture, celui dont le français vous fait don (relève René de Obaldia, à la veille de fêter son centenaire).

 

Ce hall tout en « stands », échoppes, achoppe à « l’œil qui progresse à tâtons accompagnés » de notes de contrebasse. Entre « crochets d’un cahier de géométrie » le déferlement passe aussi par les mots. D’être accessoire la langue gagne en communication, fluidité, rebondi, abondance. Aux crobars trois couleurs suffisent : l’évidé blanc, de traits brouillés le gris, le rempli noir, mais d’un noir d’encre, les corps plus nus, plus arqués de jaillir du gris ; plus élémentaires, l’arc unité de base d’un spectacle de majorettes de géométrie non euclidienne, de « danse macabre de jeunes sirènes », tardive débauche.

 

Mais de recherche physique nenni. Plutôt que de flirter avec les fondamentaux on dirait que le poème, passant outre à la lettre poursuit son expansion, sa dispersion par les prestiges de l’art.

 

Quand les anges sont des angèles de leurs ailes composant l’enveloppe stratosphérique, une sensualité s’élève en une myriade de modules jusqu’au « blanc de la page vide, terrain aride, désert de blême silicate », « comme si je laissais toujours une chance de rouler sur l’autre versant des horizons. » Récit d’un récit, d’alerte en éveil tenant le lecteur par la main, par les yeux, pardieu, par l’essaim des sens, sept au moins ; un descriptif que sa méthodologie transporte, déporte, portefaix, porte-étendard, ployant et portant beau, sur ses portants arc-bouté, au port échouant, claironnant ; un récit portatif, commode, vibrionnant, tout en mots valises, mots-cintres, mots-présentoirs, mots à l’affiche, parsemé de petites annonces, patrimoniales (galerie d’ancêtres à particule, vésicule), marémotrices selon les saisons ; le portrait d’un récit, en épures, en esquisses, liquide, fourmillant.

 

Une agglomération de lettres en relief compose dans une touffeur scintillante un tableau lettriste s’épaississant vers le bas par le poids. Une forêt entre crochets de parenthèses, de dièses, de <<< introductifs que rien ne clôt, un crescendo d’esperluettes tel un lion de Belfort ponctuent le texte à point innommé, de poésie visuelle insolite de voyeur intérieur, d’étagères en oreillers débusquant des nymphes. Des caractères gras à tout hasard, celui qu’aucun dé n’abolit, délassent une contrainte aveugle, il pleut des astérisques, des demi-parenthèses pour leur bombé, de savant saisi par un libertinage abstrait.  

 

Il doit maintenant « affronter les images des rues […] les murs et leurs images étalées, exposées de force, inaccessibles, inévitables », le harem à vif de tout citadin mâle. Par bonheur, rentré à son atelier, son hall, en rédemption l’attend l’effilé des majorettes capitales de son alphabet charnel, du « K de cafouillage » au M d’accouplement, tandis que « posé sur le sol couve un œuf à chignon où mijotent des intentions de pirouettes, culbutes et anacoluthes » – avant que dans le flou salvateur d’une « eau trouble », celle de la baignoire, « le ventre claque sous des hanches irrésistibles » et que le texte imprimé se délave en dégradé d’abyme.

 

 

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