Le Bulletin de la Poéthèque par Michaël Moretti

Les Parutions

11 juin
2020

Le Bulletin de la Poéthèque par Michaël Moretti

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Le Bulletin de la Poéthèque

            Si Cyrille Martinez dans Le poète insupportable et autres anecdotes. [Paris] : Questions théoriques, 2017. Forbidden Beach. 120 p. décrit un milieu poétique constamment atterrant donc hilarant, les revues de poésie restent le vivier réjouissant de la créativité, d’un faire poétique (pléonasme !). Je témoigne également comme co-créateur et co-directeur de la brève revue [H]apax : revue d’écritures contemporaines, ainsi que comme proche de la regrettée revue franco-argentine de Florent Fajole, Manglar / Mangrove, revista de cultura trasatlántica, revue culturelle transatlantique. Après le cabaret de Prigent autour de Chino et d’extraits de Poésie sur place dans la récente collection Al Dante qui a intégré Les Presses du réel, à l’occasion de la sortie du sérieux Santi, Sylvain. Cerner le réel. Christian Prigent à l’œuvre. Préface de Michel Surya. Lyon : ENS éditions, 2019. 364 p. dans la collection Signes dirigée par Eric Dayre, l’infatigable Capitaine Morin de La cave littéraire - Maison de Poésie de Villefontaine (Isère), association loi 1901 créée en 1983, me tend, moyennant 8 € pour ma pomme - prix d’une certaine objectivité sans doute -, et offert pour un ami à côté de moi, directeur d’une revue lyonnaise de poésie action et visuelle, le premier numéro du Bulletin de la Poéthèque. - A Villefontaine, détentrice du label Ville en Poésie depuis 2013 grâce, entre autres, à la Cave littéraire, il n’y a pas qu’une femme assassinée, une affaire de pédophilie et le cas Mila, qu’on se le dise ! - A noter que l’association lyonnaise Livraisons, spécialisée dans les revues dans tous les domaines littéraires et sciences sociales, se rapproche de la Cave littéraire. Voilà qui nous console un peu de la regrettable disparition de la publication de référence, les Cahiers Critiques CipM (CCP). Moins d’argent pour le CipM, tout de même dynamique grâce à la nouvelle et heureuse impulsion avec l’arrivée de Michaël Batalla ; pas de master class Prigent à l’ENS par manque de temps également, voilà qui pose tout de même question. La énième crise économique qui s’annonce n’incite pas à l’optimisme.

          Le Bulletin de la Poéthèque, tiré à une petite centaine d’exemplaires, dédié à l’aedman et regretté poète-performeur haut en couleur Georges Hassoméris (l’exergue ; un encart [p. 20-21] rédigé par Jacques Lucchesi ; mention [p. 32]), entre autre trésorier de La Cave littéraire et membre du collectif BoXon, contient 32 pages non numérotées et des photos … « en couleur ! » s’exclama d’admiration Nathalie Quintane qui écrivit, entre autre, une remarquable contribution « Au bonheur des scélérats : poésie et presse libre des années 1971-1980 en province », p. 294-305 dans le catalogue d’exposition Guillaume Désanges et François Piron (Sous la dir.). La Maison rouge - Fondation Antoine de Galbert. Contre-cultures, 1969-1989 : l'esprit français : [exposition, Paris, La maison rouge, 24 février-21 mai 2017]. Avant-propos Antoine de Galbert. Paris : La Découverte ; La maison rouge, 2017. 319 p.

          La poéthèque est une bibliothèque de référence « de revues littéraires à prédominance poétique, au sens large du terme » ([p.1]). En sont exclues les revues électroniques, donc dématérialisées ou pure player (par exemple Realpoetik des populistes « poétiques » Grégoire Damon et Sammy Sapin ; feu La Revue X de Véronique Vassiliou et Nicolas Tardy à la fois créative et réflexive tout comme l’actif ci-présent Sitaudis de P. le Pillouër avec nombre de recensions, les revues critiques Poézibao de F. Trocmé, Libr-critique de F. Thumerel, Diacritik de J. Faerber, etc.), ce qui est dommage car des personnes sans argent, des digital natives souhaitant une grande audience peuvent éditer de cette façon mais reste le difficile problème bibliothéconomique de la conservation et de la migration des données, ainsi que les revues intégralement écrites par une seule personne (exit Maintenant de l’excellent Cravan donc ? - une posture essentielle qui manque énormément aujourd’hui dans notre monde aseptisé où règne l’omerta - cf. par exemple le cas Cadiot depuis Providence ou Christophe Hanna qui, avec Argent chez Amsterdam, suscite la haine quand il lève le tabou du salaire des poètes en l’étudiant dans une société judéo-chrétienne imposant la haine de l’argent -, consensuel et politiquement correct où même le dit « disruptif » de la société du spectacle du clash est récupéré pour renforcer les valeurs centrales de cohésion édictées par des pairs souvent rentiers). De même que l’imprimé a éclipsé le livre manuscrit, un bibliothécaire scrutant le temps long, ne s’avance pas trop en affirmant que, malheureusement mais volens nolens, les écrits courants sur papiers disparaîtront progressivement, au profit de la publication électronique, l’écrit sera cantonné, à terme, à la bibliophilie ou à de rares chercheurs qui se déplacent déjà de moins en moins : nous sommes en période de transition vers le 3.0, accélérée par le confinement dû à la pandémie de la covid 19, comme lorsque l’imprimé imitait le manuscrit, « ceci tuera cela » écrivait Hugo dans Notre-Dame de Paris. En outre, les tarifs postaux condamnent les revues papiers et, peut-être, les dons de revues aux bibliothèques.

          Se voulant loin d’être une énième honorable Revue des Revues mais finalement pas si éloignée, le Bulletin de la Poéthèque est une « publication chargée notamment de répertorier pour ses lecteurs et lectrices les nouvelles acquisitions revuistiques d’hier et d’aujourd’hui, de son fonds documentaire. » ([p.4)], un « réceptacle de réflexions et de styles littéraires inédits. » [p. 32]. La Poéthèque, est constituée de 3 400 titres, environ 75 000 numéros.

 

« poétique, au sens large du terme »

 

            Sont présentées Le désespoir, précisément, une revue-feuille A3 mensuelle qui dura entre 1979 et 1980, sous forme de questionnaire à Jacques Morin ([p. 6-8]), Cortex de nuit (9 livraisons, 1985-89 : d’abord des feuilles A4 glissées dans une pochette plastique avec, entre autre, des collages puis 2 numéros thématiques plus fournis tirés à 500 exemplaires) et Flatus Vocis (4 livraisons, 1995-1996 avec un premier numéro où publia G. Hassoméris qui rentra dans le comité de lecture), une donation de Jacques Lucchesi qui fit une présentation à La Cave Littéraire lors du Printemps des poètes 2019 ([p. 13-18]).

          Entre, des considérations bibliothéconomiques sur le référencement dans le SUDOC (Système Universitaire de Documentation ; [p.10]), le désherbage comme possible don permettant de combler des lacunes ([p. 10-11]) mais ces précisions, proches du rapport d’activité, semblent s’adresser aux bibliothécaires, documentalistes, décideurs (cf. des courriels d’Alfroy, Thévenot et Marzuolo relatant la naissance de revues tout en légitimant l’existence de la Poéthèque, [p. 18-20]) et chercheurs. Le catalogue de recherche sur le net de la Poéthèque (descriptif [p. 3-4]) a le mérite d’exister, d’être pertinent, ce qui est l’essentiel, même s’il date de Mathusalem tout comme l’ergonomie du site.

          Dans les revues arrivées, sont dépouillés le n°1, printemps 2005 de l’annuelle Revue d’Etudes Culturelles de l’A.B.E.L.L. consacré à Erotisme et ordre moral ([p. 11]), le n°8 La Formation des maîtres de Spirale, revue semestrielle de didactique et de pédagogie de l’Ecole Normale de Lille ([p. 11-12]) avec un article sur l’écriture de fiction où l’on découvre qu’interview s’écrirait également interviou, Les langues modernes, une revue trimestrielle de l’association des professeurs de langues vivantes de l’enseignement public, avec une critique formelle du Bulletin ([p. 12)], le numéro double 3/4 de la défunte dédale (1995-11/12, 2000) du regretté Meddeb et les numéros 3 et 4 d'apulée d'Haddad ayant pour point commun le fait de dépasser 400 pages, un titre en minuscules, des directeurs de revue nés au Maghreb et une thématique globale autour du Bassin méditerranéen ([p. 12-13)].

          Le directeur de l’emblématique revue lyonnaise Verso, ([p. 21-23]), Alain Wexler décrit de façon technique l’impression et la reliure, ce qui permet de rentrer dans la cuisine interne - la poésie -, sachant que « c’est le poète ou l’artiste qui crée la nouveauté ou l’idée du moderne » ([p.22)] - mais qu’est-ce diable donc que le moderne aujourd’hui ? Chaque auteur bénéficie d’une présentation biobibliographique. Notes, chroniques et lectures sont évaluées à 30 pages en moyenne : une chronique lyonnaise d’Arabian apparaît parfois ; la rubrique artistique, réflexive, est tenue par M. Keddar ; la Revue des Revues se nomme, grâce à C. Degoutte En salade ; les livres sont recensés par la bibliothécaire et poétesse Canat de Chizy ainsi que Ribeyre, Paris et le directeur.

          D’origine bretonne, Jean-Paul Morin ne pouvait manquer les revues Hydra, Ubacs et La Dérobée dans une présentation qui a été déjà éditée dans Revues revues n°5 (2000). Créée et dirigée par M. Barré, la revue Hydra, dont la qualité serait l’égale de L’Ephémère (Fondation Maeght) « tant par la qualité de textes que la sobriété iconographique, la disposition des écritures, la teinte, le grammage et la texture du support papier » [p.25] n’a duré que deux numéros (janvier 1980-décembre 1982). Couverture d’un art minimaliste de J.-P. Thaéron, aucun éditorial (enfin !), « chaque livraison s’ouvre sur un titre qui en définit l’axe de lecture » [p.25]. J.-L. Clavé, présent dans l’ultime numéro, le sera aussi en 1976 dans Ubacs et créera en 1983 la revue Nulle part (7 livraisons) avec B. Noël, S. Sautreau et A. Velter, ce dernier lançant plus tard la revue, qui sera également interrompue, Caravanes. Michel Barré inventera une autre revue de qualité, La Dérobée (4 numéros).

          Succède une description digne d’un fou littéraire en pleine forme, qu’aurait adoré l’aedman, par G. Mérillon dans le même style que la revue dont il est question : Ruine de l’inlassable réunionnais André Robèr avec une couverture comme un nuage de tags. L’idem Mérillon rempile [p.30-31] pour évoquer, dans un style cv d’une logorrhée inimitable avec abréviations de prise de notes, teinté fortement de marxisme, son expérience revuistique concernant Cahiers de textes, d’art plastique avec TRA VAiL ART (Maison de la culture de Bourges, 1972) et ses lectures.   

          J.-M. Alfroy, mélomane, étranger - l’heureux homme ! - au milieu poétique contemporain, relate son expérience de chroniqueur, inclassable - ce qui est plutôt un compliment mais pas dans le milieu conformiste de la poésie contemporaine qui devrait pourtant valoriser la marginalité - pendant 5 ans dans la rubrique « Lire et relire » puis de rédacteur en chef pendant 3 ans après être entré au comité de rédaction. Son expérience lui a démontré que, malheureusement, les poètes contemporains, seulement intéressés par leurs propres publications car autocentrés, manquent logiquement de curiosité - ce qui devrait être pourtant leur qualité première - et rejettent les récits. Voilà qui est dit, ça fait du bien, ouf !

*

            Il serait intéressant, sans répétitions, d’obtenir un aperçu d’une revue par un acteur de la revue, par mail retranscrit ou non, et une étude distanciée.

          « La prochaine livraison offrira une tribune aux auteurs qui évoqueront leur toute première publication en revue ». Voilà qui est appétissant. A vos plumes !

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