Les Poèmes de Maximus d'Olson (2) par Emmanuel Laugier

Les Parutions

09 févr.
2010

Les Poèmes de Maximus d'Olson (2) par Emmanuel Laugier

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La nage indienne d'Olson



Si des extraits du Maximus * et quelques traductions éparses en revue ont pu faire sentir quelque chose de la langue du poète américain Charles Olson, la traduction intégrale de cette somme permet aujourd'hui de mesurer l'ampleur, la puissance et la multiplicité des entrées, autant formelles que propres à chaque contenu, qu'elle offre à son lecteur. Olson forme en effet dans l'après deuxième Guerre Mondiale avec le Maximus, comme on l'appelle couramment, le projet d'écrire ì un poème qui couvrirait l'histoire de l'homme occidental depuis 2500 ans, partant d'Ulysse, et passant par Faust, Colomb, Montezuma, Whashinton, Daniel Boone et s'achevant sur (... ) une figure à laquelle il donne plus tard et provisioirement le nom du héros méso-américain Quetzalcoatl " (Auxeméry). Au tournant de ces années-là il quitte ses responsabilités démocrates au sein de l'administration Roosevelt, refusant la direction des Postes. Il est alors l'auteur d'un premier essai (Lear and Moby Dick), et prépare son Call Me Ishmael. Maximus, en 1945, semble déjà s'écrire à l'arrière fond de certains textes, comme The K, véritable poème télégramme d'après son mot, dans lequel il annonce l'œuvre à venir et sa politique : ì Tenez, la voici, ma réponse:/il y a un flux en l'homme/qui le porte vers sa propre lune ", sans quoi l'homme n'atteint pas son ì Je turgescent ", ì je " tout à l'opposé de l'égotisme, et se condamne à errer ì sur les bas fonds des tourments " (Shakespeare). L'enjeu du Maximus se comprend à la revendication de reconstruire le réel (référence au Moby Dick), de s'y initier en le fréquentant dans ses toutes ses manifestations. On mesurera les écarts d'écriture dans ce que Auxeméry appelle ì l'extension progressive du champ, en profondeur comme en surface " entre par exemple ces deux extraits : le poème-amorce ì Moi, Maximus de Gloucester, à Vous ", avertit en une sorte de leçon didactique : ì c'est la forme qu'on aime seulement,/et la forme vient seulement/à l'existence quand/la chose naît//née de toi-même, née de/foin et d'entretoises de coton,/de déchets des rues, des quais, d'herbes/que tu portes là, mon oiseau (... )//d'une cloche/de toi-même, en pièces " ; quand le ì Chant 3 " de ì Maximus ", avant qu'il n'en vienne à parler de la figure du besoin, est littéralement de l'ordre du constat : ì dans la petite neige du matin,/je fais le compte des bénédictions, le robinet qui fuit/en mesure sur le lavabo, goutte d'eau sur goutte/d'eau, égrenant doucement le temps, à la manière de la Seth Thomas/dans la veille cuisine,/que mon père debout en caleçons remontait (... )//Et la plomberie, /qui ne marche pas, et ça j'aime, j'ai même mis des trombones/et de la ficelle ". Ailleurs ce seront des poèmes-discussion autour d'une revue, de l'amitié partagée, d'une crapule ou des récits fondateurs (XVIIième) de Gloucester, la ville portuaire de Maximus, de plans de villes, de géographie, d'indiens...
Travaillant les plus profondes inflexions de sa langue depuis le modèle Homérique, Shakespearien ou Melvilien, Le Maximus, qu'Olson ne cessa d'écrire durant vingt ans jusqu'à sa mort en 1970, prend la forme d'un long poème d'adresses, s'apparentant à un jeu de cartes sans cesse déployé. Il ne souffrirait pas la comparaison avec cet ì entrepôt magnétique " qu'est le Zibaldone de Leopardi, les chants des Cantos de Pound ou encore avec la géographie poétique que le Paterson de William Carlos Williams invente après Whitman. Livre-vie pour chacun, où les savoirs et l'Histoire, l'encyclopédisme, se croisèrent comme la réalisation la plus haute de l'existence. Pour Olson comme pour Williams, le poème, tel qu'il se forma pour eux, ne pouvait pas ne pas interroger le lien entre l'individu et la communauté, le local et un universalisme (singularité) résistant à toute globalisation et puissances régressives (du mercantilisme, du pouvoir, et autres aliénations). Après les Feuilles d'herbe de Whitman, et l'entrée de l'idée démocratique dans l'ode poétique, Williams fit de la ville ouvrière de Paterson (New Jersey), le centre-monde de la scène de l'écriture. Quand à Olson, son Maximus est centré sur Gloucester (ville de pêcheurs sur la côte atlantique, dans le Massachusetts). Son narrateur et scribe exclusifs, ì Maximus ", directement lié au philosophe grec éclectique du second siècle Maximus de Tyr, le plus fidèle compagnon des métamorphoses de son écriture, une sorte d'Hérodote, conciliateur virtuose du style de l'Historia tel qu'Olson entendait l'écrire. Si les séjours estivaux à Gloucester durant son enfance, sa participation en 1936 (il a 26 ans) à la pêche d'été sur la goélette Doris M. Hawes, y sont déterminantes, c'est d'abord, et presque contre tout subjectivisme, qu'Olson voit dans Gloucester la dernière ville des migrations : à l'autre bout de l'océan, celle qui sut accueillir et brasser une hétérogénéité de peuples qui en font sa beauté, ì résultante d'un croisement, précise Auxeméry, de Terre-Neuvas, d'émigrés rejetés par les Puritains, de Basques, de Siciliens, tous gens de mer, individus-îles nés de l'écume du temps ". Gloucester sera narrée selon l'esprit d'une méthode claire : il y s'agira toujours, comme il l'aura dit dans son fameux essai Projective verse de faire que toutes écritures allient ouvertement la force du ì projectile ", du ì percussif " et du ì prospectif ", que la forme soit l'émanation du ì contenu instant " où se concentrent et se densifient toutes les strates du temps. Publié en trois sections, en 1956, 1968 et en 1975, Les poèmes de Maximus sont comme le grand corps de la baleine de Moby Dick : on n'en finirait pas de les citer, de montrer leur intellection, ou comment les éléments sensibles les traversent comme cette ì Neige du soir " (p. 488) : ì Dans le crépuscule neige durant moins d'une minute/moins que le temps que je me donnais pour écrire/que le vert virant au blanc du draguer Santa Lucia/était, il y a deux minutes, exactement la couleur/des yeux de la Sainte, tels quels (... ) ".
Saluons ici la décision et le travail de suivi impeccable que Philippe Blanchon (l'éditeur, au sens anglo-saxon du terme, des éditions La Nerthe) a su mener à son terme avec le poète Auxeméry, le risque d'un tel projet éditorial (il nécessite d'être soutenu par l'achat de l'opus) qu'aucun autre éditeur ne s'est (hélas) montré capable d'assumer.



* Maximus amant du monde, traduit et présenté par Auxeméry, éditions Ulysse fin de siècle (1988).
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