Livres, de Philippe Jaffeux (2) par Christophe Stolowicki

Les Parutions

18 févr.
2022

Livres, de Philippe Jaffeux (2) par Christophe Stolowicki

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Livres, de Philippe Jaffeux (2)

Saute aux yeux un livre dédoublé, dont les thèmes continuent de déployer la prodigue garden-party de l’abstrait qui caractérise Jaffeux – dont l’innovation est un lacunaire à deux temps, la page de gauche touffue mais caviardée de blancs, celle de droite très ajourée, (dé)composée de tous les bris de phrase arrachés à l’autre. Oui, « deux livres en un », un livre à deux temps, ceux d’un jazz battant de tous ses blancs.

Soit « Des phrases mordues par un vide constructif », « des lacunes //// convulsives », « des écarts //// décidés à traduire //// la composition d’une autre page » quand « Une envolée de trous capture des phrases qui convoquent //// une langue de l’air ». Dépareillée, renforcée encore « la fermeté implacable d’une écriture désapprise ». 

Livres gagne à être feuilleté sur le long cours, surtout quand on a lu tout Jaffeux ou presque. Il faut s’y promener comme dans la Sainte-Victoire – dans la traduction de Cézanne ou de Domerg, non sur le motif.

Livres écho d’une œuvre, ramassée sur une dizaine d’années – dont les titres sont égrenés en bas de page de la quatrième de couverture, non par présomption, mais dans l’ordre teste âme en terre. En écho tous les opus sont là qui se tiennent la main, dont celle d’un siècle dématérialisé dans plus ample matière est lâchée.

Rappelons pour mémoire que « Toutes les planètes sont rondes parce que l’univers n’a ni commencement ni fin » (Courants blancs, 2014) marque la pascalienne, la cardinale prise de conscience de l’espace-temps un siècle après sa connaissance. Il y fallait bien un siècle, et une vie d’adulte sur fauteuil élévateur.

Jaffeux, mode d’emploi. Jaffeux-Perec, la disparition de pans entiers du discours. Pour Jaffeux la pitié tragique de Nietzsche. De Jaffeux la vie en livres, de la vie il ne connaît quasiment que la vraie vie, qui est la littérature, comme chacun sait depuis Proust.

L’innovation mallarméenne de cet usage de la double page produit à la lecture – à la lecture flottante surtout – l’effet d’enjambements de cent lieux à sangs liés, de rejets géants en chaussures de vair d’un infirme de génie. À coups de dés qui sont des battements de cils.

Après avoir, entre autres efforts (in)sensés pour desserrer son asphyxie rationnelle, troué ses pages de cercles et de triangles (Entre, 2017), dans Livres Philippe Jaffeux, par le dispositif aléatoire adopté, réinvente plus radicalement encore la poésie, épurée d’entrer en mémoire disjointe sitôt émise

 

morcelée

osselets
d’un jeu de dés

ocellée
mort celée

 

mort ce lait dont s’abreuve la double page de Livres.

 

 

 

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