Louise d'Isabelle Alentour par Christophe Stolowicki

Les Parutions

02 avril
2019

Louise d'Isabelle Alentour par Christophe Stolowicki

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Vers sobres, immatériels constats à la ligne, « Le ciel bouge si peu » à  l’enterrement de la mère. La poésie, chez une auteure de formation scientifique, psy à l’hôpital, prend d’emblée une densité, fraye un délié profond. Quiconque lit Isabelle Alentour n’est pas tenté de théoriser la psychanalyse.

 

« Les mots aussi aimeraient se débarrasser de leur histoire » ; « Il est magnifique ton regard, qui nappe de son onde les contours de ma peau, en lave chaque irrégularité, chaque rugosité » (photographies retrouvées) ; « les souvenirs cabossés s’engramment dans la peau » ; « Je voudrais juste que les fourmis rouges ne croustillent pas ton corps ». Réparatrice première personne du singulier, celle ou celui de l’écoute authentique. Aux histoires de vie, comme s’il en était d’autres, servies par de grands professionnels (même Boris Cyrulnik) avec leur détachement de prescripteurs de poisons, répond ici l’appropriation, vive comme une plaie, par une psy poète, dont éclate le « j/e ».

 

Empathie, ou de la compassion l’extrait de parfum, le pépiement non la pépite, l’épais pie ment, la paix pis ment – que seul fait courir le poème (« Je cours, de mes rêves dévêtue »). Une syntaxe première, à l’aune de la folie mise à plat, réécrit ses enchaînements de sujet à objet, de sujet à su jet, si peu, si mal. Ce jet discontinu du poème.

 

À l’interaction silencieuse de Searles répond ici l’infusion fusionnelle (« la partie la plus difficultueuse de l’équation, il me faut bien l’admettre »), grâce à la réserve scientifique acquise, des « gamines désarmées aux rubans mal noués » sinon des « brûleurs de lois aussi ». « Dans un angle du plafond une faucheuse, prise à sa propre toile. / De toutes ses forces elle tire la malheureuse, elle tire ! // […] J/e n’ai pas voulu voir la suite. »

 

En regard, en italiques, le bonheur de l’été, égaré dans l’enfance. Loin la « Vaste demeure traversée de cloisons. / À l’ombre du tilleul la mère somnole, / enveloppée dans ses laines. / À ses pieds l’enfant joue. » Le bonheur en regard, toujours en regard. « Tout à l’heure dans la cuisine ce sera la / grand-messe, notre cérémonie secrète, / la complicité mère-fille exultera au- / dessus du cuivre bouillonnant. / Faire des conserves de bonheur. »

 

« Une à une j’arrache les aiguilles du temps. // Tranchées net au-dessus du sternum. »

 

Il n’est pas inutile de résister à ce livre, de se retenir d’y plonger tête, sens, tête la première, ou l’essence, qu’importe. Entre « n’être rien » et « naître tout ». Entre parenthèses inclusives de leurs blancs. Dans ce jardin secret de l’ « HP » qui n’est plus l’asile depuis lurette. Parmi les fous devenus des malades mentaux. Qui mieux qu’une poète, mais posée, lente à l’écoute comme Isabelle Alentour, nantie d’un (brisé ? recouvré ?) bonheur, (dés)armée d’une méthodologie acquise dans les patients exercices scientifiques d’une vie antérieure (de biologiste – astrophysicienne aurait suffi) peut leur donner asile dans, contre leur folie et les en extraire, si peu. 

 

Bien sûr, elle a travaillé, laissé des marques sur un divan (« un mamelon, énorme. / Qui approchait de moi et devenait partout. // Sans me démonter j’ai lancé un regard à droite. / Il n’y avait plus de droite. / La gauche ? / Disparue aussi. »). L’empathie vaut mieux que les rêves de castration de Boris Cyrulnik pour faire plaisir à [s]on analyste.

 

« Même s’ils ne pipaient mot, tous savaient que j’étais nue derrière mes / vêtements. »

« Le doudou élimé s’est mis à empester. » Adolescente, lors du déshabillage, « Chaque soir livrée au voyeurisme du beau-père. » Et bientôt le « hors humain plaquant sa carapace contre toi, son souffle sur tes seins précoces, mêlant de force sa semence à ton sang furtif. »

 

Louise, dont « scalpel plus profond crève les épouvantes / Trie les fruits des épluchures. » « Louise qui du jour au lendemain n’a plus su écrire. » Louise, d’aimance réparatrice, infusée fusionnelle – cicatrisée ce peu, ce poème.   

 

 

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