Psychanalyse et Poésie Contemporaine de Jean-Luc Maxence par Christian Désagulier

Les Parutions

30 avril
2015

Psychanalyse et Poésie Contemporaine de Jean-Luc Maxence par Christian Désagulier

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Je fis la connaissance de Jean-Luc Maxence en 1976. Il dirigeait Les Editions de l'Athanor depuis la rue Vaneau à Paris. Il venait de publier Bilka, notre histoire (1975), son premier roman. J'allais voir paraître Geoffroy d'Auxerre ou Le voyage d'hiver de Gérard Humbert Goury et L'œil du Juke-Box de Muriel Rigal puis Dieu est lumière de Dominique Cerbelaud.

Quelques dizaines de tours de la terre autour du soleil plus tard, sur la Place Saint-Sulpice où j'arpentais les allées du marché de la poésie, je reconnus d'abord la voix au frottement inimitable et puis sous le masque, le persona craquelé que le temps oblige, ce visage d'homme aux traits giacométtiens,  le sourire communicatif de Jean-Luc Maxence.

A l'étal du stand des Editions de la Nouvelle Athanor qu'il dirigeait maintenant, j'apprenais en feuilletant les numéros des Cahiers du sens, que pendant toutes ces années il avait approché les souffrances d'hommes soumis à la question psychochimique, les rênes des chevaux fouettés par l'addiction cousus aux poignets et aux chevilles, et qu'il s'était croisé de mots pour leur ôter les mors, aux hommes comme aux chevaux. Le stylo plume en guise de seringue, ce militant de la rédemption sur terre qui avait écrit contre les dévoiements intégristes catholiques dès les années 1970[1], s'était fait à lui-même la piqûre mais d'encre, s'appliquant à joindre les actes de sauvetage pratique à la parole porteuse.

Au moment de produire quelques notes au sujet du dernier livre de Jean-Luc Maxence, je découvre que le chrétien premier a pris le tablier de franc-maçon. Je découvre que, ajoutant le compas et l'équerre à la croix, pendant ce temps qui n'a pas passé mais s'est effacé, Jean-Luc Maxence avec cet équipement d'instruments de croyances dans la raison et de certitudes dans la foi était parti en randonnée de lui-même dans sa Jungfrau et que psychanalyste devenu il s'était fait guide des cavernes de la psyché, poéthérapeute comme son dernier livre en fait état.

Je ne sais pas si les œuvres de ces auteurs dont il relit des yeux flottants les livres, Antonin Artaud, André Breton, René Crevel, Raymond Queneau, André du Bouchet, Yves Bonnefoy, la méconnue Ghislaine Amon[2], Christian Prigent pour ne pas les citer tous, pas sûr que les écrits de ces auteurs aient été couchés par eux sur le papier comme sur un divan, confessés à l'écran LCD, confiés au marabout digital à des fins de désenvoûtement.

Parfois se produit l'effet inverse, la folie guette le scripteur au bout de la ligne, passe le point coulant autour du cou de "mon semblable lecteur, mon transfert". Au solidus des discours attristant[3], aliénant, totalitaire[4] fait exprès "pour mieux vous manger mes enfants", le poème oppose ses points de transformations ontologiques, le poème élargi à toute prose, dont la forme diffuse dans le fond sous la pression oculaire et oraculaire pour ne faire plus que poème - offertoire ou ritournelle[5]- alliage dont le texte est le diagramme de phase. Ainsi le liquidus hugolien, péguyste, le langage eutectique de la sainteté heureuse et libératrice de sainte Thérèse de Lisieux.

Sachant la propension impérialiste de la psychanalyse - empirique grenouille qui voudrait se faire aussi grosse que la science - qui de tout signifiant fait signifié, de tout mot symptôme dont Jean-Luc Maxence veut repérer le caractère inconscient confessionnel chez les poètes, on s'étonne qu'il n'apporte pas les preuves prosodiques de ces névroses qu'il diagnostique. En choisissant de convoquer tel et tel poète au carré, on regrettera le manque d'élargissement des poètes de poèmes aux proses génétiques, complexes, communauté de bric et de broc à laquelle appartiennent tant les anciens Nouveaux Romanciers, Nathalie Sarraute, Claude Simon, Michel Butor, tous historiens du réel que les athlètes oulipiens, Raymond Queneau, Georges Perec, Michelle Grangaud ... dont les nouveaux nouveaux romanciers ne sont pas exempts.

Répétons à l'envi que le poème est général à la prose, qu'il relève de la chimie du cerveau, ou de la trépanation aux instruments du langage à faire frémir l'hippocampe, qui fait passer le sang de laminaire au régime turbulent.

Pas étonnant que dans "la forêt de symboles" dans laquelle nous construisons des cabanes, Jean-Luc Maxence ait construit les siennes dont ce livre est une, en syncrétique pratiquant d'après les plans du Grand Architecte où il continue d'opérer dans l'athanor de ces mélanges alchimiques chers à Jung[6], de prescrire des potions qui rendent le monde moins (in)supportable à avaler, dont l'effet galénique des mots donnent des forces en espoir de cause.

 

 

 

 

 

 



[1] ... et qui lui valent toujours des haines, cf.Vive le Schisme, Ed. Jean-Claude Lattès, 1977

[2] Le Petit Vélo Beige, Ghislaine Amon (Raphaële Georges), Ed. de L'Athanor, 1977

[3]  ... ce que Deleuze a bien expliqué dans ses Dialogues avec Claire Parnet, Flammarion, 1977

[4] Jean-Pierre Faye, Langages totalitaires, Ed. Hermann, 1972

[5] ... de Rutebeuf à Georges Brassens : " Honte à qui peut chanter / Pendant que Rome brûle, / Elle brûle tout le temps ..."

[6] Psychologie & Alchimie, C.G. Jung, Ed. Buchet/Chastel, 1970

 

 

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