Revue Arapesh, n° 2 par Christophe Stolowicki

Les Parutions

16 avril
2019

Revue Arapesh, n° 2 par Christophe Stolowicki

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Une volée de cryptogrammes ouvre le bal, une épitaphe non moins cryptée le clôt. Pour cette deuxième livraison de leur ultralittéraire, luxueuse revue (ils ont annoncé dix numéros, et déjà l’université d’Aix-Marseille, qui a financé le premier, s’est dérobée, heureusement ils ont trouvé un mécène en la personne de Cédric de Serpos ; luxueuse de vrai luxe, poids du papier et pages blanches, éclectisme de pur loisir, otium, de vraie culture, celle qui ébarbe l’érudition pour un enjeu majeur), Constant Candelara et Frédéric Riera ont placé la barre haut. « On dit en Orient que lorsque le poète change la métrique, ça annonce un changement de pouvoir dans la Société, que c’est une préfiguration d’un coup d’État, ou d’un changement de la Roue » (Guez Ricord, sur Radio-France, 1977). Insolent coup de gong rapporté à nos temps maigres pour la poésie, une génération a suffi.

 

Laquelle (barre haute) chute à l’abrupt dans l’ode In Memoriam de John Cowper Powys dont la musicalité, l’enchantement d’une vie par la défunte par delà sa mort, sont gâchés par les deux maîtres d’œuvre, ici traducteurs plats (et à deux !) jusqu’au contresens flagrant de « Alas by those sweet hands unblessed / The lilac now must bloom » copié collé sans comprendre l’enjambement en « Hélas par ces chères mains non bénies / Le lilas maintenant va fleurir ».

 

Cela dit. Sous le patronage de Mallarmé, moins nommé qu’il n’inspire, et bientôt celui de Jarry, chacun honoré d’un hapaxique vocable, ainsi que le père Hugo par comble de provocation, dans la neuve disparité de ses prélèvements et pastiches la revue prend vite son envol pataphysique. De Tortula de Saverne un fragment de De curis mulierum, ou du soin de la vulve à tempérer différemment selon qu’elle est chaude ou froide, en un latin de médicastre qui vaut celui d’Église rimbaldienne – culminant en remèdes de bonne fame pour la constriction du vagin. D’Isaac Habert le creuset amoureux de métaux et minéraux. De Geoffroy Saint-Hilaire s’en prenant à « la philosophie des causes finales », des Fragments du / Système dentaire des mammifères et des oiseaux, ou comment d’un pas de géant la science balbutiante tente de se défaire de la prégnante alchimie. D’un anonyme (retranscription d’Isaac Newton, traduction de Frédéric Riera) les Observations of the matter in the Glass, une embryologie non blasphématoire où le zodiaque affleure, tout en abréviations plus phonétiques que cabalistiques qu’hiéroglyphiques, plus capricantes que capricieuses. Pour conclure le sujet, de Micheline Moyal-Barracco, des Fragments [toujours] de Vulvodynies et douleurs pelvipérinéales chroniques, ou le regard de la gynécologie contemporaine qui a su « identifier la zone sensible […] située entre le clitoris en avant, la fourchette en arrière, l’hymen en haut et la base de la face interne des petites lèvres latéralement. » « Le terme de vestibulite a été abandonné au profit de celui de vestibulodynie provoquée. » Nette (la gynécoéidolie) de toute alchimie ?

 

Élan pris sur une libre traduction de Dante par Guez Ricord, la revue entame son  ubuesque postérité par une épître de l’Amant Vert mort vierge aux armes de sa dame, de Jean Lemaire de Belges (1473 – 1525). De verve curieusement analogue Martial Raysse (né en 1936) fait rimer dans ses sonnets « beaux yeux rieurs » avec « computer », d’un « cri cru strie des sources de la peur », avec un savoir faire assorti de savoir taire contemporain. De souffle homologue Jack Kerouac comprime d’éloquentes variations sur la golden eternity. Constant Candelara compresse les fresques du Louvre en un « Panoptichron », voire une mallarméenne « paréidolie ». Un tract cloue au pile horrible les parjures fonctionnaires universitaires aixois-marseillais.

 

Les collages panoptiques de Gérard Macé, les mandalas d’yeux entombés à plusieurs cercles de plumes de Pauline Guerrier, et en regard du Romancero ornithologique de Frédéric Riera le frontispice de trou plus blanc que noir constellé de plumages, de Mâkhi Xenakis, illustrent bien l’éclaté propos cosmogonique à tessons de réel.

   

 

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