Tangere tangere, d’Alexandre Desrameaux par Christophe Stolowicki

Les Parutions

20 déc.
2021

Tangere tangere, d’Alexandre Desrameaux par Christophe Stolowicki

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Tangere tangere, d’Alexandre Desrameaux

 

Tangere tangere, répète à bout touchant l’infinitif latin. À bout trempant, à bout tangent, de moins en moins tempéré avec les ans, dit Alexandre Desrameaux – né en 1975 mais d’irréductible jeunesse, également juriste, ce dont rien ici ne transparaît.

 

« Extrait de rien ». Un extrait, tout de même : « J’essuie sur les couteaux / Des millimètres d’art […] / Déterrez les tambours, l’horlogerie peut se taire / Sur l’immortalité, les essais se distraire / La rime s’offrir aux bleus » – en quatrième de couverture l’appeau, la peau du même, se préservant de l’écorchure à vif, ce vif de la pêche au gros.

 

Aucune fille n’écrirait cela.

 

Du masculin, celui qui macule, qui accule à soi. De ponctuation non pas émotionnelle mais passionnelle, la virgule violeuse comme un people en goguette, l’inversion hasardeuse (« dur disque du corps », celui de mémoire chargée à verse), la rime perverse (« autres rails » avec « vertical » mariant la césure et la chute, celle dont on se relève envers et contre tout et rien).

 

De Wes Montgomery, No Blues, 1965. Quand les plus grands ont brisé leurs touches ou leurs cordes, faussé leur cuivre, un dernier jazzman, tel un dernier philosophe et jamais on espère un dernier poète, tire à contre-emploi de sa guitare de tenaces riffs, à l’encontre de tout le fondu éthéré qu’on attend d’un guitariste depuis Django Reinhardt. Le temps n’est plus aux bleus à l’âme, Alexandre Desrameaux nous fait remonter à cet âge charnière.

 

« Et la vie, est son rythme / Poème entre les mots » : belle leçon, aux poétisants de nouvelle engelure, aux sentencieux que l’anosmique érudition aveugle, assourdit – d’une poésie du vécu, vécu entre les mots comme entre les lignes de front la chair est gaie quand j’ai lu tous les livres.

 

Quand « j’éteins calme, de la jungle, les desseins / de toiture, de cloutage, d’abat-jour », c’est la vie qui profère entre les mots, pas un cabotin sa poésie sonore.

 

« L’espoir est, une poche d’eau / Où la sirène se cherche », irénique du monde minimal que globalise sa queue de paon amputé. Il n’est pas facile mais vital, mais viral par ces temps-ci que le poème conspire, respire comme on se résorbe.

 

« La vérit, la véri, le vér la, vé le v / Là la vie, bute l’homme libre » une leçon encore, en decrescendo de l’incrémentiel, aux peu déments en ciels de mots. « Comme l’espace, tel le temps / La beauté » à deux temps se spatialise d’appoint nommé. « On s’évanouit souverain », « le sérieux, fruit malin », « Ricochet, de racailles, sur les siècles des siècles », « Moi comme était-civil, ou je comme fièvre à deux ». Crudelis, crus délices, cruel en latin est un miroir sans tain. Et « racaille » fait son entrée en poésie.

 

Il est vrai que de livre en livre (le pénultième Saut fixe, 2019, de même pulsation), le deux temps d’Alexandre Desrameaux gagnerait à s’enrichir davantage de hard bop avant qu’il ne sombre en rock, se relève en jazz rock.

  

 

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