Yves Charnet : Le Libraire de Gambetta par Pascal Boulanger

Les Parutions

23 mai
2023

Yves Charnet : Le Libraire de Gambetta par Pascal Boulanger

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Yves Charnet : Le Libraire de Gambetta

 


Les autodidactes de l'existence –Yves Charnet en fait partie - ont ceci de particulier qu'ils accueillent et se laissent aborder par des visages, des livres, des événements les plus divers et variés qui soient. Ils brûlent en vivant, en écrivant, pour mieux tuer un monde aux convulsions folles et fermées. Ils défient le nappé ennuyeux de la servitude et, attentifs au réel d'avant l'écriture, s'écartent des impératifs d’une gestion  du monde toujours encline à l'hostilité rageuse.
Pensées immédiates, emmêlement des événements, vitesse de l'énoncé par des phrases souvent nominales, atomisation du temps, chutes, naissances, renaissances, saisie des moments de bascule, portraits amicaux... l'écriture de Charnet refuse l'effacement du temps, elle rend compte de quelle façon son propre temps est vécu dans le vécu du temps.
Ni document sociologique, ni miroir narcissique, ce livre impur et inclassable déborde le cadre de toute domestication. Il peut être lu comme un manuel de survie puisque "l'inaptitude au bonheur encourage l'aptitude à l'amitié". Il se nourrit d'une traversée sensible et signe une odyssée dans laquelle on croise de multiples figures chères à cet écrivain. Il y a les rencontres, avec des livres, des films, des chansons et des êtres bien vivants : Denis Tillinac, Michel Deguy, Sarah Chiche et les acteurs d’autrefois Gabin, Delon (sidérant dans Le samouraï), les chansons de Nougaro, Lama, Jonasz… Un tourbillon d’images, de refrains, de sensations pour ce maniaque de la trace. Il y a aussi, parmi eux, des pères et frères symboliques, formant une confrérie méta-politique qui permet à Charnet d’apprivoiser une souffrance, celle – en arrière-fond – de l’absence du géniteur et du sentiment qu’il entraîne « de n’être personne, de n’être pas vraiment né ».
Au centre : l’homme aux livres, la solide amitié avec Ce libraire de Gambetta, Christian Thorel. 

« Nous fûmes d’accord tout de suite sur le fait que ce serait, entre nous, la même chose. La conversation, l’amitié (…) Je ne dis pas qu’il n’y eut pas des crises, des tensions. Des moments plus difficiles que d’autres. Je souligne juste que rien de tout ça n’a jamais fait le poids. Contre l’évidence heureuse de cette tacite camaraderie. Ils ne sont pas moins redoutables que ceux de l’amour. Les divorces de l’amitié. Pareil chagrin devrait pouvoir nous être épargné. Jusqu’au bout. »

Charnet excelle dans les exercices d’admiration (« admiraimé »), car une vie improvisée et ouverte, intensifiée par l’amitié est l’exact contraire d’une existence qui se plie aux rapports marchands. Mais l’admiration n’exclut ni critique, ni révolte. Charnet est de ces écrivains qui ont refusé l’inexorable empiètement sur nos vies du confinement et de la vaccination forcée, du traçage et de la surveillance généralisée. 

« Je n’ai plus grand-chose à dire à des contemporains préférant leur santé de centenaire aux risques de la liberté. »

L’écriture obéit à la misère de tout ça, celle de nos vies précaires et verrouillées. Elle se noue autour de la fuite et de la mort, de la beauté et de l’amitié.

 

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