Yves Namur, 0, l'oeuf par René Noël

Les Parutions

22 janv.
2023

Yves Namur, 0, l'oeuf par René Noël

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Yves Namur, 0, l'oeuf

œuf lige

 

Daté, composé de 1983 à 1985 et publié quelques trente-cinq ans après son élaboration, le livre d'Yves Namur donne à entendre les textures des expressions et l'actualité de notre temps scrutées à la lumière d'un écrit d'hier - un autre poète n'a-t-il pas écrit " je me suis daté d'un 20 janvier ", position qui a modifié ses perceptions des objets de toutes les époques jusqu'à leurs structures et leurs intentions ? - et permet de lire les accents, les intonations personnels de ces poèmes à travers les moyens d'observation et d'expression actuels, soit des lumières singulières sur deux versants d'un ensemble spatio-temporel.

Divisée en deux parties, en haut le poème image, en bas le poème bref qui le décrit, 0, l'oeuf a la mémoire de ses aînés, Norge, Jacques Izoard, l'ironie et la compacité vues depuis une contrainte, un point d'observation inédits jusqu'alors dans le parcours poétique d'Yves Namur. La poésie concrète, proche du spatialisme en haut de page, évoque de fait les inventions d'Ilse et de Pierre Garnier, connues alors du poète ainsi qu'il l'indique en postface, une physique, et les poèmes du bas, une description débouchant parfois sur une énigmatisation de celle-ci. Soit une inversion des positions du ciel et de la terre, les objets terrestres aux formes de fleuves, de paysages, mirages en lévitation, flottant dans les couches supérieures de la page, et leurs interprétations reposant à même le blanc, au pied de ce même fond.

Pour autant, les deux parties de la page ne réservent pas à tout coup le littéralisme et la traduction respectivement au dessin-symbole, et à la notice-exégèse. Le paradoxe, l'instantané pouvant surgir des vers du bas et la composition narrative se développer parfois en haut où un trait horizontal marque une constante du livre, " ______________________ " . (p. 20)

O ( )

Un lettrisme empirique " gestes d'autres / oeufs. bouche ouverte / comme la lettre / comme un O. / lit, lis. " (p. 73) émerge. Le O et le 0, aux contours fermés, exposent l'imago, l'imagination humaine positives, une linguistique expérimentale de reflets et d'images d'(ans l')eau. Les yeux observent alors ces contours clos et leurs dehors, les allées venues entre la forme, l'inspiration et l'expiration de la bouche. Soit les paradoxes de l'homme vérifiant de ses yeux les liens entre les dedans et les dehors, " ______________________ f , f (geste) f / est une fonction / l'oeuf est / une façon de dire / l'infini. " (p. 86) façon de voir non pas antérieure au mythe, mais celui-ci les coudes dans l'herbe aux frais rayons d'un val invité, le poser devant le motif de l'œil proche des rythmes et d'images naïfs de Fluxus.

Les insistances selon les civilisations, les générations, sur le fini ou l'infini, les diversités des formes de vie, mannes, cornes d'abondances immanentes à une forme close, le O, liées à un dehors inconnu, se dessinent dans ce livre aussi simplement que le jeu de la marelle pratiqué depuis l'antiquité, ne nécessitant qu'un morceau de craie et un caillou pour imager les liens entre le pair et l'impair, les rythmes des intervalles entre le bas et le haut. Une histoire du mouvement y tire les baguettes du mikado, donne à flairer l'immédiateté des capacités humaines à sentir et voir les épisodes, les âges du monde, des décantations et incantations immémoriales.

 

Les poèmes d'Yves Namur ne préparent pas au moment de leur écriture, ni ne répètent à l'heure de leur publication, un tout vaut tout, un postmodernisme de nos jours implantés dans bien des domaines de la vie à marée haute, se substituant à la loi, hybris des idéologies précaires, mais créent au plus près de la matière. Soit une positivité de la poésie en mouvement, différente de toute suspension - de jugement... -, autre que toute négativité ou tout non, la poésie tire ses flèches, des multiplicités nées des objets finis aux lignes de l'infini, " oeufs / qui voyagent à l'origine / et portent la mort, la mer, / murmèremuurmèère mur / mure. ", des énergies liant noms propres et noms communs.

 

 

 

 

 

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