D'époque, de style par Christophe Stolowicki

Les Incitations

05 févr.
2021

D'époque, de style par Christophe Stolowicki

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Et meuble comme de la bonne glaise. Je ne prétends pas restituer un chef d’œuvre. Mais tracer les limites d’une célébrité d’époque. On lisait Jules Romains, abondant et de belle qualité, comme Amélie Nothomb à présent.

Comme tous ses contemporains qui se respectent, il débute par de la poésie, puis se lance. Lucienne, écrit il y a près d’un siècle. Très supérieur à du Paul Bourget. Mais les secrets de l’âme féminine, c’est un homme qui les détient. Pour les dévoiler il faut le truchement de son intellect structuré, sa prestance de porte-parole. C’est Jules Romains, c’est Sigmund Freud, c’est Stefan Zweig. Colette une exception. Un siècle, passé comme un ouragan.

Concentré d’intelligence, Lucienne est un petit roman où la narratrice pratique une juste mise à distance dans le feu d’événements décisifs de la passion légitime, une analyse des sentiments qui, que porterait un traité d’esthétique du visage aimé. Méticuleux et bien mené, mais mené. De main de maître, à deux doigts de l’admettre. Tel Paul Valéry, lors d’un exercice  qu’il n’a jamais commis. Les jeux de l’esprit et les marivaudages du cœur tissent un réseau de liaisons dangereuses (exemptes de libertinage) de souffle tenu, le soufflé est parfait, esquivé celui qu’on donne au profit de celui qui ne retombe jamais.

« Visage de Pierre Febvre, versant soudain des sourires, comme un autre verserait des larmes. »

L’auteur se préservant de toute « coïncidence laborieuse », dans la juste mesure d’un immense talent sauf des excès du génie.

« Je me passe d’y voir clair » restant un artifice de romancier qui prépare l’événement.

« Je n’ai jamais pensé à appeler sport l’exercice qu’il m’est arrivé de prendre », répond Lucienne, comblant « des préjugés d’homme du Midi ». Ou : « on rêvait soudain d’être une femme insolemment vêtue, répandant des parfums, des rires charnels, et la lumière de ses épaules dans les velours d’un restaurant de nuit », aucune femme n’écrirait ni n’eût écrit cela. C’est excellent mais daté, quand un grand écrivain est mémoriel.

La narratrice aurait préféré être « plus capable de garder une attitude de demi-sommeil ». Mais c’est Jules Romains qui exprime son trop de lucidité, celle qu’illustre le patronyme Jerphanion (hiero fanion, flambeau sacré) donné au personnage central des Hommes de bonne volonté. Et je ne devrais pas bouder mon plaisir qui répare mal le remords d’avoir abandonné lors d’un déménagement les vingt-sept volumes, écornés et s’émiettant d’avoir été lus & relus au lit par l’enfant malade qu’ils pousseront en khâgne.

Lucienne : un récit suivi, mais dont l’action nous épargne tout temps mort ; l’action rondement mais intérieurement menée, une astérisque séparant les grands blocs intérieurs à un chapitre ; le présent tranchant dans l’imparfait aussi opportunément que le rêve dans un film de Chabrol.  

« Tout un monde, couleur cuivre et sang noir ».

Relu en Livre de poche de grand millésime, fabriqué en France.