Descendre / monter par Claude Minière

Les Incitations

24 mars
2020

Descendre / monter par Claude Minière

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La poésie française moderne reste encore très souvent attachée au poème-carré, façon Baudelaire. Peu de poètes se sont lancés dans une écriture par champs, de champs ouverts. Il me semble pourtant que Un Coup de dés de Mallarmé, ou les Illuminations (en prose) de Rimbaud, à la fin du dix-neuvième siècle, témoignaient du désir de sortir du poème régulier et s’engageaient dans une autre prosodie. Rien cependant encore du parti explicite que prendra Ezra Pound avec les Cantos, ce « poème d’une certaine longueur et qui contient l’Histoire ».

Comme l’on sait, le modèle, non unique mais constant, qui soutiendra et aimantera Pound dans son entreprise est La Divine Comédie de Dante*. Il y a de fortes raisons à cela. Certes, Dante écrit des vers rimés, groupés par strophes de trois (la terzina), mais son immense poème en trois volumes proprement descend des lignes et des lignes continument. L’écriture y dévale pentes et ascensions, convoquant et traversant une abondance de « matériaux » divers (historiques, théologiques, politiques, linguistiques). L’écriture dévale opérant une réévaluation, ponctuelle, occasionnelle, vectorisée vers le Point sublime. Il s’agit d’une écriture poétique qui dans sa vitesse taille. Et par sa dynamique (de pensée, de sensations), par sa morale, monte en descendant.

Je me trouve naturellement en amitié avec cette poésie (et j’ai du mal à en considérer une autre, bien que j’apprécie des poètes contemporains qui ne la pratiquent pas). Je dirai, de manière réfléchie autant qu’immédiate, qu’elle m’apparaît être la chance de la poésie à venir. D’une poésie qui, de manière critique, revisite l’histoire, plutôt noire, de l’humanité.

Mais je dois aussi faire place au moment charmant. Enfant (quatre ans ?), je restais longtemps troublé par une chansonnette, « J’ai descendu dans mon jardin… » Plus qu’une simple anecdote ce moment m’a apporté une dote. Voilà, j’ai descendu dans mon jardin, « pour y cueillir du romarin ».

* Canto VII : « so that Dante’s view is quite natural » (référence à la “rivière de lumière” du Paradis).