591 # 5 (revue) par François Huglo

Les Parutions

30 juin
2019

591 # 5 (revue) par François Huglo

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            Jeux de construction. En 4èmede couverture, Christian Désagulier brandit la revue Toute la lire au Rocher des Proscrits (Jersey, 2017), et page 8, « Paris, kilomètre zéro », Jesper Svenbro face à Notre Dame se souvient du jour de 1978 où il levait les yeux vers la flèche, « un nouvel exemplaire de Finnegans Wake dans la main », et s’exclamait : « Maître bâtisseur Finnegan, réjouis-toi ». Avec un Manual, cet « Intelectual » monte un plancher « comme pour remplir une feuille de phrases écrites ». Luc Champagneur s’intéresse aux traces des langues maternelles dans « celle qui se construit laborieusement » : le français qu’apprennent des jeunes « depuis longtemps bercés en soninké, italien, arabe, diakhanké, turc, lingala, soussou, fang, etc. ». Il plaide pour une mobilisation générale : « tout le monde doit apprendre le français à tout le monde » (extraits d’allophonhics).

 

            Une performance réalisée en partenariat avec le laboratoire du sommeil de l’hôpital de Bremen Ost (Allemagne) rassemble photos, textes et dessins de Virgile Novarina sous le titre En somme n° 12 avec Électroencéphalogramme. À propos de « la langue de Baudelaire » analysée par Émile Benveniste, Chloé Laplantine confirmera : « le langage n’est pas de manière essentielle un outil de communication ». Il « re-produit la réalité ». Contrastant avec « l’analyse objectivante des Chats » par « Lévi-Strauss et Jakobson », l’approche de Benveniste éclaire « la structure profonde d’un univers poétique », en particulier sa temporalité. « Baudelaire ne connaît pas la durée », l’imparfait est le temps « du souvenir revécu ». De Baudelaire à Mallarmé, la poésie « évoque, elle ne décrit pas ». Et elle « ne consiste pas à dire, mais à faire ». Construire, se construire : « C’est dans et par le langage que l’homme se constitue comme sujet ». Sont reproduits en annexe des manuscrits inédits tirés de la Thèse de doctorat de Chloé Laplantine, Émile Benveniste, poétique de la théorie, publiée aux éditions Lambert-Lucas en 2011.

 

            Les hommages de Christian Désagulier à Augusta Ada King, comtesse de Lovelace, auteure du premier programme informatique conçu en vue de son exécution par la Machine analytique en langage binaire de son contemporain et ami Charles Babbage, et à Dmitri Mendeleïev à travers une transcription des Correspondances de Baudelaire comme passées au crible du Tableau périodique des éléments, croise les « écritures augmentées » d’Alessandro De Francesco, avec textes en bilingue (français, italien). Jacques Sicard (extraits d’Opus 8) s’arrête dans la zone que Pasolini a nommée Mama Roma, où « l’ogre est roi », a « faim de pauvres ». Et il compare la « relation d’image » construite par Murnau dans son Faust à un train dont la perspective serait le déraillement. Jean-Marc Baillieu chante la « media luna » en huit strophes de cinq vers brefs et espagnols.

 

            À travers Norge et Queneau, Noël Arnaud a étudié « charabia, galimatias et turlupinades dans la poésie d’aujourd’hui », et prononcé en 1958 une conférence qui, les années suivantes, a toujours connu un vif succès, mais de la série d’émissions radio qu’il projetait d’en tirer ne subsiste que le Plan général. Le texte de cette conférence sera prochainement publié par Patrick Fréchet en préface d’une Anthologie du Jargon & du Salmigondis. Y sont salués, outre Norge et Queneau, Christophe et son Sapeur Camember, Jehan Rictus, Vadé, Dubuffet, Georgius, Maurice Blanchard, sans oublier Marcel Schwob, Alphonse Allais, Paul Colinet, les frères Piqueray…

 

            La « chronique de l’interzone » de Jean-Yves Bochet a pour objet le cinéma « giallo », jaune, par référence aux couvertures de petits romans policiers populaires, illustré par Mario Bava de La fille qui en savait trop (1963) à La Baie sanglante (1970), Dario Argento qui creuse « l’idée de vision après-coup » questionnée par Antonioni dans Blow up (1967), Lucio Fulci surnommé « poète du macabre », Sergio Martino dont le succès doit beaucoup à la beauté d’Edwige Fenech, Umberto Lenzi qui s’inspire des Diaboliques de Clouzot.

 

            Quand Jean-François Bory a donné à la revue Ailleurs le premier compte rendu exhaustif du film La jetée de Chris Marker, le cinéma ne l’ « intéressait pas plus que ça », mais  il fréquentait assidûment la cinémathèque, à la recherche de méthodes narratives non conventionnelles, et d’iconoclastes tels « Ramon Gomez de la Cerna ou mieux : Carmelo Bene ». Bory était le plus jeune d’une bande de cinéphiles, et son projet de « poèmefilm » à partir de son poème La Peste dut attendre 1967 pour être réalisé à la caméra Beaulieu, très influencé par Chris Marker. L’utilisation de sculptures de lettres géantes en polystyrène expansé mit Bory sur la voie de « poèmes en trois dimensions », équivalents d’idéogrammes « pas encore ouverts dans une pensée, pas encore étendus sur la page ».

 

            Bory rend hommage à Lawrence Ferlinghetti : « Si la Beat Generation n’est pas vraiment mon verre de Bordeaux, car j’ai toujours pensé qu’ils ont effectué un déplaisant rétropédalage dans la poésie américaine après les avancées considérables de Pound, Cummings et autres Olson, j’ai toujours eu beaucoup plus d’attachement pour Lawrence Ferlinghetti parce qu’il s’est souvent montré hors de la Beat Generation, presque contre, anticonformiste de l’anticonformisme en quelque sorte ».

 

            Jacques Donguy considère l’optophone de Raoul Hausmann, d’abord présenté comme une machine à calculer, comme « un prototype d’ordinateur sans les moyens techniques de celui-ci », et cite le livre consacré à Hausmann par Jean-François Bory en 1972, ainsi qu’un texte inédit d’Henri Chopin qui a enregistré Hausmann sur l’un des premiers magnétophones, et l’a publié. La première tentative de déposer un brevet pour l’optophone en 1926 avait été précédée par la publication d’un texte, Du film parlant à l’optophonétique. Le brevet de l’ « ordinateur avant la lettre » a été vendu en 1938, le premier ordinateur (Colossus) créé en 1943 pour décrypter les messages de l’Enigma allemande. Les poèmes phonétiques de Raoul Hausmann, considérés par Donguy comme « de la poésie abstraite », ont ouvert la voie à l’Ur-sonate de Kurt Schwitters, au lettrisme d’Isidore Isou, et à la poésie numérique : Arndt Niebisch parle de « tournant cybernétique » de Raoul Hausmann.

 

            Ezra Pound : Thrones. Pascal Quignard : « Il n’y a jamais eu de page blanche ». Nicole Caligaris : extrait de Carnivale, à paraître aux éditions Verticales. Bel été d’enfance pour « des princes qui n’ont que leur peau, sans s’occuper d’aller nulle part ». Jean-François Bory : « Confetti d’autobiographie ». Des « claps », entre « clap » de cinéma et laps de temps, souvenirs vrais ou faux, dans le désordre, en pluie d’atomes. Cédric Lerible : photos-citations giratoires. Bory : colonnes dessinées (textes, idéogrammes, icônes), PO@ZIAbio. Liliane Giraudon : une jonquille pour Jandl, une pivoine pour Picabia. Pierre Le Pillouër : S sur l’espace de la page où le poème joue la « soumission aux réflexes sonores ». « Musical et maçon », il « rend compte de la rencontre ». Jean-Pierre Bobillot continue les « antisèches » qui sont « une continuation du fameux "hommage à Pavlov" de Jean-François Bory », citons encore Mathilde Tixier, Pierre Tilman, les traces de performances d’Alexandre Ponsart / Vivianne Cirillon, Philippe Boisnard, Marie Kawazu qui répond à Jean-Marie Bellemain : « je/ça rencontre un public, avec ça je fais une performance, un peu comme par hasard », Cédric Lerible et ses « 8+1 camperformances (à ce jour) », la 6ème à l’invitation de Julien Blaine, dans une borie (qui « n’est pas JF Bory ») bâtie par l’artisan-poète Ludovic Eyriès au centre d’un rond-point à l’entrée de Ventabren. Et « Des livres ! Des livres ! ». Jusque sur ses pages de couverture, cette revue en déborde.

 

 

 

 

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