Alice de A à Z de Jacques Barbaut par François Huglo

Les Parutions

07 déc.
2017

Alice de A à Z de Jacques Barbaut par François Huglo

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            À la découverte du limerick : contrée lointaine, peut-être inaccessible, ce genre étant si spécifiquement anglo-saxon que les tentatives d’accès par la traduction ou l’adaptation relèvent du détournement d’art mineur. Les atomes crochus pleuvent pourtant, la postface de Jacques Barbaut en témoigne, entre les deux rives de la Manche ou de l’Atlantique. Comment prendraient-elles langue l’une avec ou dans l’autre sans échanger quelques gâteries ? Gerson Legman, qui a rassemblé et classé 1739 limericks en une vingtaine d’années, s’est réfugié en France après avoir été condamné aux États-Unis en 1949, pour diffusion de matériel « pornographique ». Le britannique Edward Lear a groupé et illustré en 1861, dans A Book of nonsense, troisième édition, 112 limericks, certains traduits par Henri Parisot qui les rapproche de nos berceuses, comptines pour enfants, et des fatrasies d’Arras. Ceux, fantasmatiques et « d’une précision sans faille », que Norman Douglas a publiés en 1928, rappellent à Jacques Barbaut « quelques érotomanes distingués que comptèrent les surréalistes ». Luc Étienne, chef de travaux pratiques de Versification Holorime et Bouts Rimés au Collège de Pataphysique, auteur de L’Art du contrepet, La Méthode à Mimile ou l’Argot sans peine (avec Alphonse Boudard) , et de L’Art de la charade à tiroirs, a tenu au Canard enchaîné la rubrique de contrepéteries « Sur l’album de la Comtesse » de 1957 à 1984. Spécialiste des jeux de langage chez Lewis Carroll, il a publié en 1984 19 limericks de son cru, suivis de 19 de Rittner.

 

            Jean-Claude Carrière, dans des entretiens avec Bernard Cohn (L’Esprit libre, 2011) propose la définition suivante : « Le limerick est un genre anglais, petit poème de cinq vers avec deux rimes. Trois vers riment entre eux. Il dit quelque chose d’absurde, où il y a toujours un personnage qu’il faut nommer, avec des détails obscènes. C’est très anglais, voire irlandais, et longtemps réputé intraduisible, inadaptable ». Jacques Barbaut, qui relève le défi, se fixe cinq règles : 1) un nom propre (au moins) cité à la première ligne, 2) cinq lignes (ou vers), 3) sauf exception des rimes aabba ou aaaaa, 4) aucune contrainte de pieds mais un rythme, 5) une chute grivoise, gauloise ou salace, à la dernière ligne. Ses 238 limericks sont classés par ordre alphabétique des noms propres, prénoms ou toponymes, présents en première ligne. Un index renvoie aux noms propres cités.

 

            Luc Étienne qualifiait de « détestable » ce genre qu’il a pratiqué, alliant la « puérilité » à la « paillardise », mais aussi la rigueur à la précision. Genre pervers polymorphe, genre mineur. William H. Glass a usé du limerick dans son roman Le Tunnel parce que la forme narrative et les contraintes obligeaient à « dédramatiser le texte », à le tenir « toujours sur le fil entre le grotesque et le grave, le ridicule et le profond ». Dans une « lettre à l’ami d’occasion » André Breton, le jeune Léo Ferré (1956) opposait à « l’aigle hautain de la littérature », au « style boursouflé dont (il est) le tenancier », et au « style qui se regarde vagir » de ses amis, les contraintes de son art de « maigre chansonnier », mais le perfectionnisme dans l’art mineur, ses jeux pervers avec le calembour et l’à peu près, nous évoquent d’autres auteurs de chanson : Trenet, capable de faire rimer « daily news » avec « sacré bon dious » (ce n’est qu’un exemple), Brassens (son côté « moyenâgeux »), Boby Lapointe, MC Solaar, et surtout celui qui a donné à la chanson française ses lettres de dandysme pop, Serge Gainsbourg. Barbaut cite Ferré en exergue : « Le snobisme scolaire qui consiste, en poésie, à n’employer que certains mots déterminés, à la priver de certains autres, qu’ils soient techniques, médicaux ou argotiques, me fait penser au prestige du rince-doigts et du baisemain ». Voilà qui justifie le lexique du limerick. Quant à ses contraintes, c’est Gainsbourg qu’il cite en exemple à la fin de sa postface : « J’ai un mickey maousse / un gourdin dans sa housse / et quand tu le secousses / il mousse ». Presque un limerick, dont se souvient peut-être celui-ci : « Cette déhanchée de Gap / Me happe / Quand en pôle-danse / Elle m’lance : / "Lape !" ».

 

            Si les langues anglaise et française n’ont cessé de flirter (« to flirt » vient de « conter fleurette »), avec Gainsbourg et Barbaut il faut parler de flirt poussé. Avec MC Solaar aussi, à qui plairait : « Caramelle issue du gangsta rap / Qui ne jure que par la sape / (Chaînes en or, bolides / Coke, amphet’ et speed / Ne chevauche que les petites frappes ». On rencontre aussi une « Carole / Passée par une période rock’n’roll / Sperme sang dripping All Over », une vahinée « élevée au soleil de la Guadeloupe » qui « cultivait un look à la Betty Boop », une Katty qui supplie « Kiss me / Kiss me », une « dissimulatrice du Laos / (Au physique de Kate Moss) », une « pensionnaire du One Two-Two » qui travaille « avec deux toutous » et accepte « tout (tout !) », une « descendante de Wallace » prête à donner sa « face » et son « ass ».

 

            Comme chez l’homme à la tête de chou, le précieux flirte avec l’obscène, l’argot avec Mallarmé, professeur d’anglais et traducteur, dont se souviennent les rimes Halifax-syntaxe-limericks-rimes en X- hapax. Autant que de flirt, on parlera de cocktails, qui nous renvoient à ceux du Captain Cap de l’hydropathe Alphonse Allais, champion de l’holorime. Dégustons ces cocktails de rimes : Holiday Inn- gin- cyprine, « pute de Mantes » donnant « une lecture de Dante » (on pense à l’emmer… deresse de Brassens, déclamant du Claudel), La Mecque-mec-direct-bec-salamalecs, Nantes-hantent-Kant-amante-fente, Nietzsche-« bitch »-sandwich, ou (accord angélique) Purcell-violoncelle-claveniniste-Liszt-septième ciel.

 

            L’art « mineur » l’est-il parce qu’il est puéril ? Barbaut prend (et donne) un plaisir enfantin à « limeriquer » une « jeune fille du Massachusetts » capable « de pisser sur la table / Et de sécher sa chatte avec ses chaussettes ». Peut-être aussi parce qu’il est artisanal. « Solidarité sainte de l’artisanat », dirait Brassens, entre Barbaut et ses éditeurs, qui partagent son soin diabolique du détail. On goûtera le même perfectionnisme dans les vidéos, visibles sur Youtube, où le « limeriqueur » fait plus court que « la minute nécessaire de Monsieur Cyclopède ». Mais ni moins culotté, ni moins savoureux.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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