Astéroïdes de Denis Ferdinande par François Huglo

Les Parutions

23 sept.
2018

Astéroïdes de Denis Ferdinande par François Huglo

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            Pas plus de « ligne directrice » que de « ciel antérieur où fleurit la beauté » : un « ciel intérieur » où, voyant une métaphore filante « un astérisque aura fulguré », un incipit « une phrase se lance »la file. L’incipit fait un vœu : que la note devienne volume, fourmillement de « premières ».  Le vœu circule « jusqu’à la hantise », et voilà le pari «intenable » tenu entre nos mains, sous nos yeux qui voient alterner les notes, du n° 544 au n° 622, et le texte à astérisques (comme on dit calcaire à astéries : fossiles, étoiles de mer). Mais ce texte est second et la note « première », phrase lancée comme dés, « ponctuée criblée de signes ou signaux si infimes soient-ils », non pour « la reprise du souffle » mais pour « le geste » du scripteur, sa vision quand il devient lecteur, quand le poème visuel (où les astéroïdes pleuvent comme des atomes) a pris volume.

 

            Dés ou échecs ? Le « coup » toujours sera perdant : la «chance dans la phrase » est « ce qui n’aura pas eu lieu ». Ni apparition, ni « destruction » : des « remaniements » (bonjour, Lavoisier !). Le programme du « million de romans » qui s’écrivent « sur l’heure dans le monde » esquive ce jeu de « lancées [le narratif à s’y méprendre] » et d’ « interruptions [le lieu de la méprise] ». Pour sauver la linéarité, l’écrit dans ces romans se suture et se sature.

 

            « Descends au fond du puits si tu veux voir les étoiles » : ce « Proverbe de l’Enfer » selon Gide (mais on dirait du Blake) est comme figuré par la photo de couverture de Françoise Favretto : une entrée de métro, l’hiver, place Monge. Denis Ferdinande creuse des galeries d’artères avec « bancs en bordure », raccordées à telle « ruelle napolitaine telle qu’en mémoire », à tel rêve de « périple dans tout le Pendjab », à tel chant de « N.F.A. Khan », à ses « sonorités telles qu’en mémoire », en une dérive (mot croisant les mots ivresse et vertige) constellée d’astérisques « vers d’autres nébuleuses », dirait Apollinaire, d’autres « digressions », l’écrit ne se voulant pas « chose figée » (règle d’un jeu) mais « chantier », marquant en lui jusque dans l’astérisque « fiché à l’endroit » d’un nom un champ à retourner (ou que la ponctuation retourne). Il craint la « muséification », la « pétrification » de la phrase (son apparition comme phrase). « Il voudrait arrêter le Temps » (ô astérisque, suspends ton ciel), mais par le travail. « L’Éternité est amoureuse des œuvres du Temps » (cette fois, c’est du Blake). Ce travail rêve « de temps qui jamais n’eurent ni n’auront lieu, inconjugables sauf à élargir la liste des temps ». Dérive : métaphore d’un « parcours dans la cité », avec détours par l’estaminet, ou est-ce l’inverse ? La métaphore est réversible. Dérive et détours du désir qui « de bonne heure » développe le cliché du corps lumineux voilé-dévoiléd’une jeune femme. Lumière : arcs reliant des parcs. « Le feu de l’écriture » embrase feu la mémoire. La cité peut être antérieure et spectrale, « d’un temps défait », d’un « monde ancien effondré ». Cité bombardée. Terreur, errance dans les décombres. Fuite, rompant « l’attachement séculaire ». Migrants « inconsolables ». Le « cahier de notes » se figure emporté dans la précipitation pour « rejoindre le convoi », sans retour possible.

 

            La langue comme animal d’une compagnie « à distance » serait le rongeur « ce faire indomptable et inquiétant » appelé poésie, non réductible au « communicationnel en arrière et secours de l’action ». L’inquiétude ronge : « Le sentiment d’inanité de l’écriture », le rêve « d’un temps de vie (…) plus ample », la hantise, « à l’article de la mort », de « ne pas finir sa phrase », l’impossibilité d’un « sauvetage au dernier instant ». Mais le texte « garde en mémoire toute la valeur qu’il avait aux yeux du défunt et cela suffit ». Par l’astérisque, le mot s’étoile de phrases et la toile survit à l’araignée. S’y tisse « le cercle du temps ». Notes et phrases tissent un tapis volant, tapis volutes entre veille et sommeil (cf le début de la Recherche, la fin d’Ulysse).  « Et pourtant quelque chose tourne, qui cesse d’être l’heure, la Terre ». L’écriture roule-t-elle vers une « conversation avec les pierres » ? L’ « astérisque final » renvoie-t-il « vers nulle part, ou néant » ? Impossible de poursuivre, « non que tout ait été dit, ce serait même plutôt le contraire, rien encore, mais trop tard il semble ». Précédant toute poursuite, le geste de refermer « n’attend dès lors que la désintégration de ses pages dans l’ordre des mondanités », mais lance la question « que voulez-vous dire », et une virgule.

 

 

 

 

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