Celebrity cafe # 04 par François Huglo

Les Parutions

20 déc.
2020

Celebrity cafe # 04 par François Huglo

  • Partager sur Facebook
Celebrity cafe # 04

 

            « Les poètes… veulent enfin un jour machiner la poésie comme on a machiné le monde ». L’éditorial de Jacques Donguy connecte cette affirmation d’Apollinaire en 1917 aux « Poèmes Machines » de Liliane Lijn, à l’Intelligence artificielle, au travail d’Eduardo Kac en liaison avec la Station spatiale internationale, à toute « une littérature à réinventer, en fonction d’autres technologies », bien que le nom « Celebrity Cafe » ait été trouvé sur l’enseigne d’un café « au milieu de la brousse africaine, non loin du rift ! ». Paradoxe ? À travers les 11 sections (Avant-gardes, numérique, poésie spatiale, performances, théâtre, arts plastiques, cinéma et vidéo, musique, hommage, anniversaire, éphémérides), du langage, des machines et des corps se croisent, se superposent, s’interpénètrent. C’est contradictoire. C’est stimulant.

            Avant-gardes : interview inédit de William Burroughs et de Bryon Gysin par Ralph Rumney (1962). Gysin veut « mettre à la disposition des écrivains » les techniques utilisées par « tous les peintres modernes ». Burroughs répond que « The Waste Land » (« La Terre Vaine ») de T.S. Eliot est déjà « certainement un montage ». Amélie Castellanet analyse « une photo inédite d’œuvre » de Raoul Hausmann, sollicitant une « stimulation simultanée du toucher, du goût et de l’odorat ». Un entretien inédit de Jacques Donguy avec Harold de Campos revient sur « Galaxies », traduit avec enthousiasme (et les félicitations du poète) du brésilien au français par Jean-François Bory. Café brésilien encore : Paulo Bruscky, ses « concerts de musique électroencéphalographique », sa « machine à filmer les rêves », son exposition d’Art Postal fermée par la Police Fédérale en 1976 : artiste à la fois conceptuel, scientifique et politique, « concerné par l’éphémère ». Eduardo Kac oppose à la « poésie concrète » le « poème processus » de Neide Sá, et s’entretient avec Liliane Lijn, dans son atelier londonien, sur ses « systèmes lumineux et électromagnétiques créés dans une perspective littéraire » : utilisation de cylindres et de cônes pour que les mots soient mis en mouvement, transparence leur permettant de flotter dans l’espace. L’expérimentation retrouve l’écriture sumérienne, ses pictogrammes, sa mythologie, et les divinations du « I Ching ». Kac présente les « Poèmes Concept » de Wlademir dias-Pino. Un texte de Jean-François Bory, « Aboli », clôt cette section « Avant-gardes ». Des lettres peignent un « paysage », qui devient « récit ». L’universel bazar donne sur l’apeiron (l’infini, seule substance indéterminée selon Anaximandre) et le chaos qui « peut être n’importe quoi qui n’est plus ceci ». Miroljub Todorovic parlera plus loin d’Apeïronisme », au cours d’un entretien avec Jacques Donguy.

            Eduardo Kac, au début de la section « Numérique », s’entretient avec Abraham Palatnik, disparu le 9 mai 2020 à Rio de Janeiro, « pionnier dans l’art cinétique » et explorateur du « magnétisme dans l’art », qui refusait les « oppositions communément créées entre art, science, technologie et communication ». Interview de Jasia Reichhardt par Jacques Donguy : « Serendipity » est traduit par « hasard heureux ». Miroljub Todorovic précise à Jacques Donguy ce qu’il entend par « poésie signaliste », « poésie sémiologique », « Apeïronisme ». Un passionnant débat entre Philippe Boisnard, Jacques Donguy et Fabrice Thumerel à la Maison de la Poésie de Paris aborde un « univers high-tech » (astrophysique, nucléaire) que Donguy refuse d’opposer au livre, mais celui-ci ne peut plus aujourd’hui « se concevoir sans le numérique ». Philippe Boisnard cite Philippe Castellin : « Les mediums se superposent ». Une « Poétique de la Catastrophe », de l’impossibilité de « donner le langage de l’après Fukushima », amène Boisnard à poser « l’hypothèse d’un récit qui ne sera pas fait par et pour l’homme », à renoncer à « l’illusion de labelliser des choses » à un moment où l’histoire « n’est plus qu’un miroir de vanité vide ». Une présentation par Jacques Donguy de « VR space », casque de poésie en réalité virtuelle, clôt la section « Numérique ».

            Eleanor Heartney, Lori Waxman, Wlademir Dias-Pino, décrivent « le télescope intérieur » conçu par Eduardo Kac et fabriqué à bord de la Station Spatiale Internationale en 2017 par Thomas Pesquet, astronome français. Kac est aussi « l’inventeur des mots holopoésie, art transgénique, bioart et plantimal, une plante qu’il a hybridée avec des gènes humains ».

            Performances : Robert Filliou, « Musique télépathique n° 2 ». « Les idiotes » (Sarah Cassenti et Hélène Defilippi) « traversent le temps » selon Donguy qui cite Clément Rosset : le terme idiotie « désigne l’existence en tant que fait singulier, sans reflet ni double », tels ces corps nus mais chaussés qui traversent villes et montagnes (Nö-action Cheyennes). Un poème de Jacques Donguy est projeté sur le « corps dansé » de Sarah Cassenti. Philippe Boisnard et Maud Brethenoux associent aussi danse et art numérique. Orlan fait de « son corps transformé par la chirurgie esthétique un lieu de débat public ». Egon.A on air est accessible on line, Alberto Sorbelli sur sa page facebook, autrement dit (par Romane Charbonnel) : « Je te cherche, je te trouve ». Performances de Thomas Laroppe, Jérôme Buisson, Sarah Cassenti, Nönude Caroube.

            Valentine de Saint-Point, « égérie du mouvement futuriste à la Belle Époque», est « considérée comme une pionnière de la théorie du genre ». La section « Théâtre » la cite : « Il est absurde de diviser l’humanité en femmes et en hommes. Elle n’est composée que de féminité et de masculinité ». Dans la section « Arts plastiques », Jean-François Bory associe les œuvres de Gigliola Fazzini au boson de Higgs. « Il en est ainsi devant toute œuvre vraiment moderne : c’est le spectateur qui produit l’œuvre ». Chantalpetit fête son anniversaire confinée et masquée de terre crue « transformée en une vingtaine d’oiseaux ». Mandana Moghaddam incarne pour Vatankhah Costis « les femmes artistes iraniennes en exil » et « le corps censuré » par la République islamique, « le corps déplacé » par l’exil. Cinéma, vidéo : le « psychédélique » Étienne O’Leary, présenté par Jacques Donguy qui s’entretient avec Jean-Pierre Bouyxou et Michel Asso. Pierre Clémenti considérait O’Leary comme « le type le plus génial avec qui (il ait) travaillé ». Suivent deux partitions fluxus de Michel Asso, le découpage de Silencio de F.-J. Ossang, une boucle vidéo de David Coignard. Musique : Donguy s’entretient avec Éliane Radigue, compagne d’Arman. Yves Klein lui avait demandé d’écrire une symphonie, qui deviendrait la « Symphonie Monoton ». Donguy compare sa musique à « un coquillage », Éliane situant l’auditeur « dans le corps même » de l’instrument.

            Hommages à « Angéline Neveu, enragée de Nanterre » (1946- 2011), avec une belle lettre de Raoul Vaneigem à Jacques Donguy. À Tanabé Shin, Francesco Conz (par Jean-François Bory qui a créé chez lui, en un « été dilaté », des « machines a écrire en or »). Anniversaire : « Les 20 ans de GFP Bunny d’Eduardo Kac » : lapin fluo, univers posthumain, manifesté par l’art transgénique, un OGM qui fait le buzz, « un petit spectacle de laser qui fait des crottes partout », les Simpson, les Schtroumpfs, une icône pop devenue, selon Kac, « archétype ». Éphémérides, biographies, poésie de la post-humanité, poésie visuelle japonaise, digital icons : « (ré)appropriations et hybridations (post) numériques », un intitulé qui ressemble à ce numéro.

 

Retour à la liste des Parutions de sitaudis