Celebrity cafe 05 Costis par François Huglo

Les Parutions

11 oct.
2022

Celebrity cafe 05 Costis par François Huglo

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Celebrity cafe 05 Costis

 

 

                                          éclat éclair

 

            Comment lire la foudre , qui est à la fois écrit et image, sans s’aveugler ? Il faut un Prométhée. Costis, pour qui « les aveugles voient l’éclair à perte de vue », « s’empare du feu, et le modèle à sa guise », mais sans arrogance anthropocentrée. Dans un texte initialement paru dans le catalogue du Musée macédonien d’art contemporain, Thessalonique, Grèce, 1995, Pierre Restany salue la modestie du sculpteur qui « déclenche la colère du ciel » et « joue avec la foudre », en sachant qu’il « n’en est pas propriétaire ». Nos langages, nos sensibilités, ne sont « qu’une partie infime de l’énergie cosmique », dont l’exposition-installation de Costis se veut « une grande métaphore ». Conscient de sa responsabilité, l’artiste pratique « un certain exorcisme ». Chacune de ses pièces est une fable, avec sa morale. Des « miroirs concaves dressés sur des tiges-pieds » provoquent la décharge électrique. La « photo de l’éclair-événement restitue la dialectique de ce phénomène essentiel : la réverbération de l’éclair électrique, une réverbération bleu azur qui est la projection homothétique de la trace de l’inscription fugitive de l’éclair provoqué. »

 

            Face à chaque photographie en bleu et blanc sur noir, l’écriture en noir sur blanc espace des impacts de fulgurances. Chaque formulation s’insinue, déploie une arborescence mentale, une « sève qui déchire », une « série d’explosions en ligne ». Nous partons avec « la pluie dans l’espace lettrifié au large », parcourons la « grande avalanche qui parcourt la nature ». On pense aux Illuminations (« Aussitôt que l’idée du Déluge se fut rassise… ») en lisant : « il se leva une tempête de tonnerres / tout à coup éclaircie / voilà l’origine de la poésie ». On pense beaucoup à Philippe Jaffeux, à ses Courants blancs et Autres courants, que rejoint ici un « aide-mémoire abécédaire de l’énergie » qui donne l’ « occasion de déchiffrer un message radical / d’éternel retour sur l’alphabet ». Ou une « cartographie du vide dû à la vie ».

 

            « La vie électrique là-haut » nous enveloppe : « tout autour du monde trajet continu où chaque éclair rejoint l’autre ». C’est comme « mettre bout à bout les lettres » pour une « lecture d’éclats de lignes éphémères », de « lignes-valises aux lettres explosives ». Comme Gilbert-Leconte, Costis se veut « casseur de dogmes ». Il reste « l’enfant » qui « cherche au registre des mots ceux qui sont foudroyants / qui laissent des traces dans les yeux », et perçoit un « éclair de soleil entre les mots perdus dans l’histoire ». Il « rêve qu’il décolle / qu’il s’envole sur l’éclair en s’éclatant de nuage en nuage électrifié », voleur des « pouvoirs créateurs et dévastateurs du feu ».

 

            Pierre Restany considère les sculptures et installations de Costis comme des « objets philosophiques ou plutôt existentiels ». Car « c’est du champ électrique qu’il s’agit, c’est-à-dire d’un espace délimité par l’éveil de la conscience et la surprise conséquente ». Ciel et terre nous révèlent à notre vision et « à nous-mêmes ». Par « une symbolique du feu à l’état pur », Costis rejoint « le grand message alchimique d’Yves Klein ».

 

            En postface, Jacques Donguy revient sur le parcours de Costis Triandaphyllou, dit Costis, qui a quitté la Grèce pour Paris suite à la dictature des colonels, suivi les cours de Jean-François Lyotard à Vincennes et obtenu une licence de philosophie ainsi qu’une maîtrise de cinéma et arts plastiques. Donguy le situe dans une tradition artistique qui partirait des premières photographies d’éclairs sur la tour Eiffel par Gabriel Loppé en 1889 puis en 1902, et que poursuivraient Walter Maria en 1977 sous forme de land art, « The Lightning Field » dans le désert du Nouveau-Mexique et, après passage par la « forme "nouveau-réaliste" d’appropriation du réel » qui « a suscité l’intérêt de Pierre Restany » pour Costis, et « le courant naissant de l’art technologique »,  Takis avec ses « Signaux », sculptures lumineuses à apparitions programmées sur le site de La Défense. Le poème « Éclat Éclair », le dernier de Costis, écrit en français, « est un essai de transcription typographique de la foudre, avec l’utilisation d’un certain aléatoire dans l’apparition des mots sur la page ». Coup de dés pas aboli !

 

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