Conversation au-dessus du vide de Jean-Pierre Gandebeuf par Christophe Stolowicki

Les Parutions

05 nov.
2020

Conversation au-dessus du vide de Jean-Pierre Gandebeuf par Christophe Stolowicki

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Conversation au-dessus du vide de Jean-Pierre Gandebeuf

 

« Ce texte a été écrit en mai 1989, tout de suite après la mort de ma mère. / J’avais noté en la veillant, les phrases qu’elle prononçait dans son délire démentiel » – parle-t-on  de sa mère en termes aussi cliniques au dos d’une plaquette ? Mais quand on la retourne, dès la première page l’évidence (« Qui es-tu ? Tu n’es pas Joseph ? ») s’impose : elle est sa mère et elle n’est plus sa mère, et cela porte un sale nom médical. Mais aussitôt, du dialogue après coup un pathétique émerge, désuet, insoutenable. À partir d’un certain âge, la plupart avons vécu cela.

La quatrième de couverture finit sur « dialogue imaginaire et par bien des côtés, surréaliste. » Surréaliste paraît ici employé à l’emporte-pièce, mais non : il y a du cadavre exquis dans cette incommunication majeure.

Carné poétique. Le sandwich d’écrit saignant entre deux tranches généreuses de blanc, plus temporel que spatial, de la collection, contient toute l’émotion que bottent en touche les réponses du fils. Les brèves phrases de la mère, en italiques grasses, en deux trois vers justifiés à droite, butent sur l’innommable.

Et sinon la première, moins « démentielles » que Jean-Pierre Gandebeuf le prétend – même s’il faut décoder, s’adressant bien à lui : « J’suis bien contente que / tu t’appelles Jean-Pierre, / j’te connais bien », «  On perd la tête, / tu comprends ! », « Oh, tu as une belle barbe, / c’est une petite fantaisie ? », « Qu’est-ce que tu marques / sur ton agenda ? », « T’es gentil d’être venu ! », (il ne l’a pas quittée). Bref, le fils est injuste, comme nous en titillent de tenaces souvenirs, remords délavés.

D’autres (« Ma maman aussi, / elle a eu des misères ! », « J’ai fait dire à la grand-mère que / je lui téléphonerai dimanche », « Elle a un accent de Paris, ta / femme, pourtant, elle n’est / pas souvent allée à Paris ! ») reprennent de vieilles antiennes essentielles. D’autres encore égrènent des détails inintelligibles.

Les réponses du fils, aux tentatives de reconnaissance marquent une irritation (« Tu dis ? Le carillon blesse tes tympans, pas assez de mains secourables ? Oublie les files d’attente M’man, laisse tomber ! ») – aux antiennes sont celles d’un écrivain en graine et en épi (« Notre lot à tous. Un jour on se retrouve à nu comme une colline en feu déboisée d’un seul coup, sans qu’une ombre le sache », « L’accent, m’man, ça sert à rien, tout juste à souffler des arpèges aux moineaux avec une voix de fausset »).

Est-ce hasard s’il a fallu tout ce temps pour que ce texte soit publié, aussi bien publié ?  

 

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