Enterrement du Mexique d'Ivan Alechine par Jacques Barbaut

Les Parutions

05 déc.
2016

Enterrement du Mexique d'Ivan Alechine par Jacques Barbaut

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A la semblance des peintres sur le motif, Ivan Alechine se définit dès l’entame en tant que « poète sur le motif » : avec des livres d’Apollinaire et de Lévi-Strauss en bandoulière, des photographies d’Edward Weston et de Tina Modotti en surimpression sur sa rétine, des photogrammes de Luis Buñuel et de Sergueï Eisenstein sur son chevalet mental, les traces des pinceaux de Pisanello et de Claude Monet sur sa palette, des poèmes de Christian Dotremont ou de Malcolm Lowry dans sa boîte portative et Le Château de Kafka posé ouvert sur la tête pour se protéger du soleil — autant de tubes de couleurs qu’il lui suffit de presser pour en extraire une moelle substantifique —, une chaise sur l’épaule et un carnet de notes en poche, dans les montagnes de la Sierra Madre ou le désert de Wirikûta, « attendant les ordres du monde, les yeux grands ouverts, en quête de visions qui soudainement frappent l’écran de l’esprit ».

 

Adepte de la dérive psychogéographique au sens des situs, sur la trace des beats William Burroughs et Brion Gysin, ou 212 avenida Orizaba, Mexico, où Jack Kerouac rédigea sur son toit Doctor Sax et les 242 chorus planants de Mexico City Blues ; ou séjournant dans une chambre de l’hôtel Colonia Roma, tandis que Canal de las Estrellas (« la chaîne des étoiles ») diffuse à la télévision son robinet de pornographie tiède (les actus, le catch, les telenovelas, les comics, les jeux, les variétoches…) et qu’avec une Japonaise vous jouissez ; ou à Matatlan, Etat de Oaxaca, « en relation avec les Quichés, les Mayas, les Toltèques, les Aztèques », sous l’invocation de Huitzilopochtli, dieu de la Guerre et de la Mort, avec en arrière-fond mythologique la course de l’astre Soleil, or & sang mêlés — les sacrifices humains pour complaire aux dieux, la violence, la torture, l’Inquisition, « toutes les roues d’un ciel de sang » —, l’histoire de la végétation et les fantômes du peuple passent par sa porte :

Des acajous fantasmatiques plongent leurs racines dans les fissures volcaniques masquées par des coulées de bambous (p. 21) ;

Sur la place, les paysans assis devant des mesures de haricots, des pyramides de pêches, des poignées de racines disposées sur des carrés de plastique en couleur ou à même le sol, forment un codex parfait. (24)

 

Et, pour contrer la politique des intérêts grossiers, les vagues de la catastrophe, les pelleteuses mécaniques dévoreuses de ressources, la déforestation à vitesse grand V, le bétonnage généralisé, la Walt Disney Company mondialisée, « le chaos entretenu par “Le mauvais gouvernement” – El mal gobierno, dixit le sous-commandant Marcos », la triple chape du ciel (plomb, oxyde de carbone et chaleur), reste la ressource d’Enterrement du Mexique, six pieds sous terre, et ses quelques fulgurances underground, avant d’en finir :

 

J’ai le sentiment de marcher sur le filament enfermé d’une ampoule électrique (15)

ou

Les pierres forment une peau de jaguar tacheté. On peut dire que l’animal est taillé dans la pierre des pyramides ou que les pyramides sont taillées dans le jaguar (49)

ou

Par une fenêtre ouverte la poussière met le coude sur la portière / l’autocar fume une cigarette (73).

 

 

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