Figures de solitudes de James Sacré par François Huglo

Les Parutions

04 mars
2022

Figures de solitudes de James Sacré par François Huglo

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Figures de solitudes de James Sacré

 

            Après Figures de silences, Figures de solitudes. Des synonymes, pour James Sacré ? Les poèmes sont « Le silence et l’énigme ». Et ils ne font « qu’ajouter à l’énigme que fut la solitude avec les autres ». Lire, écrire, c’est creuser silence et solitude comme la bachelardienne Flamme d’une chandelle creusait l’obscurité, l’énigme : « Je me fais seul, profondément seul, avec la solitude d’un autre ». Le titre Figures de solitudes résulte d’un sentiment d’inachèvement et d’abandon : les poèmes « t’échappaient, autant que tout leur échappait ». Abandon et abondance : Gongora, Milosch, La Tour du Pin, Du Bellay, autant « d’accueillantes solitudes » quand, à « proximité de la mort », les mots « abandonnent ». James Sacré conclut un paragraphe par la phrase « Un poème est un lieu de solitude », et ajoute, paragraphe suivant : « (Un lien de solitudes ?) ». La première idée de titre avait été Désarroi. « Désarroi de ton désir d’écriture ». Le poème est « une sorte de désir sans forme / (…) au bord / De quel désert où tu ne vivras jamais ? ». Il « se mange avec du souvenir et de l’attente / (Comme on caresse un désir) ». Silences, solitudes : entre désir et désert.

 

            Nourriture terrestre, le poème « se mange » au bord du paradis, terrestre lui aussi. Parmi les nombreux instantanés qui composent les poèmes de James Sacré, croquis sur le vif en direct ou en différé (souvenirs) des Pouilles, de Toscane, d’Andalousie, du Maroc, du Sud-Ouest des États-Unis, des Charentes, certains sont privilégiés : « moments » eux-mêmes composés, assemblages et superpositions de strates spatio-temporelles, offrant « cette fraîcheur et la belle matière propre et lisse du caillé, un mets qui était à la fois la profondeur du puits, le sourire ménager de ma mère et de subtiles transformations du lait en chose à manger qu’on n’avait pas vu faire ». Paradis comestible, « la fragilité du plaisir dans l’énorme indifférence du monde ». Paradis intermittent : « De temps en temps le meilleur moment revient » : au cours d’un « voyage à l’étranger », c’est « soudain dans le midi, l’été », avec le  « grand plat de ce caillé que maman vient de poser sur la table le meilleur moment de la journée on a travaillé tôt le matin, ça va continuer tout à l’heure ». Le paradis comme archétype, comme modèle : « De caillé à caillebotte, ça a été tout mon tourment d’écrire : mon patois qu’a jamais bien pris, puis le beau français que tout s’est mélangé dedans ». Les tournures de Sacré comme saveurs acidulées, lactiques, comme fraîcheur, avec « ces irrégularités qui faisaient un léger plus de consistance dans la bouche ».

 

            À la recherche « des mangers perdus », au cours de « moments marocains », Sacré conjugue le sapide (« un tagine poulet pommes de terre / Tomate un peu et beaucoup d’oignon doux, le tout / souligné du goût des olives et de l’ail ») et le tactile, avec des touches de couleur : « Toucher à des tissus de gandoura bleus restés dehors », repasser dans un espace « où le bonheur, rugueux, serait de la pierre, des poussières / Et le maigre vert bardé d’épines / Des acacias ». Recette improvisée, fugitive. « Le poème est un léger travail heureux / De ne pas savoir faire et d’être / Ce presque rien qu’il est ». Paradis né d’être perdu, comme « ce trait de barque bleue / qui s’efface dans l’ardoise brouillée de l’eau ». Les mots sont « devenus muets (…) / Au bord de ce qui s’éloigne / En leur donnant forme ».

 

            Le caillé, le poème, solutions buvables, où baigne l’émietté : « le temps émiette ce qu’on imaginait construire en vie solide, il en émiette encore un peu les restes. Et bientôt plus rien ». Déjà « les mots d’emblée parlent de la mort, à tout le moins de la solitude ». Ver dans le fruit du paradis : « La mort, le silence et la solitude / Font la trame de notre vie / (…) / Un tissu continue de se déchirer ». Le premier accroc fut de naître. Mais il est retrouvé. Quoi ? « Le bleu du ciel emporte en du bleu paradis. / L’idée même d’un enfer disparaît : la mort / Est comme un squelette apaisé… ». Ce n’est pas le « paradis des images » de Max Jacob, plutôt des « moments » qui rappellent l’impression et la réminiscence proustiennes, inséparables des « anneaux » du « style » qui sertit ces précieux moments : « Parfois des poèmes ont cru voir briller leurs mots / À cause des moments qu’on a pensé voir s’ouvrir / en paradis / (…) / Peut-être qu’on pourra sans regret quitter / Ces moments de paradis, les mots qu’on écrit ». Le poème est « quelque chose qui désire de la beauté », désir qui « ne sait pas / Que la mort (un plus vrai désert ?) bientôt / Va l’ensabler ». Mais « La beauté du monde ne nous abandonne pas. C’est nous qui la quittons, ou ne savons plus la voir ». Les figures de silences et de solitudes sont aussi des figures de la grâce.

 

 

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